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LETTRE

les œuvres que nous sommes sauvés, mais par la vocation ; c’est Dieu qui opère le vouloir et l’action suivant son bon plaisir ; les commandemens ne sont pas toujours possibles ; la grâce n’est pas donnée à tous ; tous les hommes ne sont pas sauvés, non parce qu’ils ne le veulent pas, mais parce que Dieu ne le veut pas ; chaque action que nous faisons en Dieu, est faite en nous par Dieu même, » etc.

Toutes celles de cette sorte sont propres à saint Augustin ; de sorte que, par un merveilleux avantage pour sa doctrine, les expressions semi-pélagiennes sont aussi augustiniennes, mais non pas au contraire. D’où l’on voit combien il est injuste de prétendre que les passages de l’Écriture qui semblent favoriser les semi-pélagiens, ruinent les sentimens de saint Augustin, puisque tous ces passages peuvent avoir deux sens ; au lieu que ceux qui établissent la doctrine de saint Augustin, ruinent nécessairement les sentimens des semi-pélagiens, parce qu’ils sont univoques.


2.

Les mêmes choses que nous venons d’observer sur les passages de l’Écriture qui sont susceptibles de deux sens, doivent être dites à ceux qui abusent des passages équivoques de saint Augustin, au lieu de les expliquer par les passages univoques. Je ne m’arrêterai pas à ceux qui sont foibles, comme à ceux-ci : « Jamais l’homme ne prévient Dieu ; et, la bonne volonté de l’homme précède beaucoup de dons de Dieu (Enchir., cap. XXXII) ; » car il s’en explique trop clairement lui-même à l’endroit d’où ces dernières paroles sont tirées. La bonne volonté de l’homme précède beaucoup de dons de Dieu, mais non pas tous ; et elle est elle-même entre ceux qu’elle ne précède point ; car l’un et l’autre se dit dans l'Écriture : et sa miséricorde me préviendra, et sa miséricorde me suivra. Il prévient celui qui ne veut pas, pour faire qu’il veuille ; et il suit celui qui veut, pour faire qu’il ne veuille pas en vain.

La véritable cause de toutes ces différentes expressions est que toutes nos bonnes actions ont deux sources : l’une, notre volonté ; l’autre, la volonté de Dieu. Car, comme dit saint Augustin, Dieu ne nous sauve point sans nous ; et si nous voulons, nous garderons ses commandemens : il dépend du mouvement de notre volonté de mériter et de démériter. De sorte que, si on demande pourquoi un adulte est sauvé, on a droit de dire que c’est parce qu’il l’a voulu ; et aussi de dire que c’est parce que Dieu l’a voulu : car si l’un ou l’autre ne l’eût pas voulu, cela n’eût pas été. Mais encore que ces deux causes aient concouru à cet effet, il y a pourtant bien de la différence entre leur concours ; la volonté de l’homme n’étant pas la cause de la volonté de Dieu, au lieu que la volonté de Dieu est la cause, la source et le principe de la volonté de l’homme, celle qui opère en lui cette volonté de telle sorte, qu’encore qu’on puisse attribuer les actions, ou à la volonté de l’homme, ou à la volonté de Dieu, et qu’en cela ces deux causes semblent y concourir également, néanmoins, il y a cette entière différence, qu’on peut, dans un sens très-vrai, attribuer l’action à la seule volonté de Dieu, à l’exclusion de la volonté de l’homme ; au lieu qu’elle ne peut jamais, ni dans