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À MADEMOISELLE DE ROANNEZ

mais seulement si on a vocation pour y demeurer, comme on ne consulteroit point si on est appelé à sortir d’une maison pestiférée ou embrasée.

Ce chapitre de l’Évangile, que je voudrois lire avec vous tout entier, finit par une exhortation à veiller et à prier pour éviter tous ces malheurs, et en effet il est bien juste que la prière soit continuelle quand le péril est continuel.

J’envoie à ce dessein des prières qu’on m’a demandé ; c’est à trois heures après midi. Il s’est fait un miracle depuis votre départ à une religieuse de Pontoise, qui, sans sortir de son couvent, a été guérie d’un mal de tête extraordinaire par une dévotion à la sainte épine. Je vous en manderai un jour davantage. Mais je vous dirai sur cela un beau mot de saint Augustin, et bien consolatif pour de certaines personnes ; c’est qu’il dit que ceux-là voient véritablement les miracles auxquels les miracles profitent : car on ne les voit pas si on n’en profite pas.

Je vous ai une obligation que je ne puis assez vous dire du présent que vous m’avez fait : je ne savois pas ce que ce pouvoit être, car je l’ai déployé avant de lire votre lettre, et je me suis repenti ensuite de ne lui avoir pas rendu d’abord le respect que je lui devois. C’est une vérité que le Saint-Esprit repose invisiblement dans les reliques de ceux qui sont morts dans la grâce de Dieu, jusqu’à ce qu’il paroisse visiblement en la résurrection, et c’est ce qui rend les reliques des saints si dignes de vénération. Car Dieu n’abandonne jamais les siens, non pas même dans le sépulcre, où leur corps, quoique morts aux yeux des hommes, sont plus vivans devant Dieu, à cause que le péché n’y est plus : au lieu qu’il réside toujours durant cette vie, au moins quant à sa racine, car les fruits du péché n’y sont pas toujours, et cette malheureuse racine, qui en est inséparable pendant la vie, fait qu’il n’est pas permis de les honorer alors, puisqu’ils sont plutôt dignes d’être haïs. C’est pour cela que la mort est nécessaire pour mortifier entièrement cette malheureuse racine, et c’est ce qui la rend souhaitable. Mais il ne sert de rien de vous dire ce que vous savez si bien ; il vaudroit mieux le dire à ces autres personnes dont vous parlez, mais elles ne l’ecouteroient pas.


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DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L’AMOUR[1].


L’homme est né pour penser ; aussi n’est-il pas un moment sans le faire ; mais les pensées pures, qui le rendroient heureux s’il pouvait toujours les soutenir, le fatiguent et l’abattent. C’est une vie unie à laquelle il ne peut s’accommoder ; il lui faut du remuement et de l’action, c’est-à-dire qu’il est nécessaire qu’il soit quelquefois agité

  1. Ce fragment, publié pour la première fois par M. Cousin, a dû être écrit pendant la vie mondaine de Pascal, c’est-à-dire en 1652 ou 1653, lorsqu’il avait vingt-six ou vingt-sept ans.