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PREMIER FACTUM


server inviolablement les règles de sa morale, au milieu des désordres de ceux qu’elle n’a pu empêcher de les violer. Ainsi, quand on y a vu de mauvais chrétiens, on y a vu au même temps des lois saintes qui les condamnoient et les rappeloient à leur devoir ; et il ne s’étoit point encore trouvé, avant ces nouveaux casuistes, que personne eût entrepris dans l'Église de renverser publiquement la pureté de ses règles.

Cet attentat étoit reservé à ces derniers temps, que le clergé de France appelle « la lie et la fin des siècles, où ces nouveaux théologiens, au lieu d'accommoder la vie des hommes aux préceptes de Jésus-Christ, ont entrepris d’accommoder les préceptes et les règles de Jésus-Christ aux intérêts aux passions et aux plaisirs des hommes. » C’est par cet horrible renversement qu'on a vu ceux qui se donnent la qualité de docteurs et de théologiens, substituer à la véritable morale, qui ne doit avoir pour principe que l’autorité divine, et pour fin que la charité, une morale toute humaine, qui n’a pour principe que la raison, et pour fin que la concupiscence et les passions de la nature. C’est ce qu’ils déclarent avec une hardiesse incroyable, comme on le verra en ce peu de maximes qui leur sont les plus ordinaires. Une action, disent-ils, est probable et sûre en conscience, si elle est appuyée sur une raison raisonnable, « ratione rationabili. », ou sur l’autorité de quelques auteurs graves, ou même d’un seul : ou si elle a pour fin, un objet honnête. Et on verra ce qu'ils appellent un « objet honnête » par ces exemples qu’ils en donnent. « Il est permis, disent-ils, de tuer celui qui nous fait quelque injure, pourvu qu’on n’ait en cela pour objet que le désir d’acquérir l’estime des hommes, « ad captandam hominum aestimationem. » On peut aller au lieu assigné pour se battre en duel, pourvu que ce soit dans le dessein de ne pas passer pour une poule, mais de passer pour un homme de cœur, « vir et non gallina. » On peut donner de l’argent pour un bénéfice, pourvu qu’on n’ait d’autre intention que l’avantage temporel qui nous en revient, et non pas d’égaler une chose temporelle à une chose spirituelle. Une femme peut se parer, quelque mal qu’il en arrive, pourvu qu’elle ne le fasse que par l'inclination naturelle qu’elle a à la vanité, « ob naturalem fastus inclinationem. » On peut boire et manger tout son soûl sans nécessité, pourvu que ce soit pour la seule volupté et sans nuire à sa santé, parce que l'aspect naturel peut jouir, sans aucun péché, des actions qui lui sont propres, « licite potest appetitus naturalis suis actibus frui. »

On voit, en ce peu de mots, l’esprit de ces casuistes, et comment, en détruisant les règles de la piété, ils font succéder au précepte de l’Écriture, qui nous oblige de rapporter toutes nos actions à Dieu, une permission brutale de les rapporter toutes à nous-mêmes : c’est-à-dire, qu’au lieu que Jésus Christ est venu pour amortir en nous les concupiscences du vieil homme, et y faire régner la charité de l’homme nouveau, ceux-ci sont venus pour faire revivre les concupiscences et eteindre l’amour de Dieu, dont ils dispensent les hommes, et déclarent que c'est assez, pourvu qu’on ne le haïsse pas.

— Voilà la morale toute charnelle qu’ils ont apportée, qui n’est appuyée que « sur le bras de chair, » comme parle l’Ecriture et dont ils ne don-