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LETTRE

Ce furent mes propres termes, où je ne crois pas qu’il y ait de quoi blesser la plus sévère modestie. Mais, comme tu sais que toutes les actions peuvent avoir deux sources, et que ce discours pouvoit procéder d’un principe de vanité et de confiance dans le raisonnement, ce soupçon, qui fut augmenté par la connoissance qu’il avoit de mon étude de la géométrie, suffit pour lui faire trouver ce discours étrange, et il me le témoigna par une répartie si pleine d’humilité et de modestie, qu’elle eût sans doute confondu l’orgueil qu’il vouloit réfuter. J’essayai néanmoins de lui faire connoître mon motif ; mais ma justification accrut son doute et il prit mes excuses pour une obstination. J’avoue que son discours étoit si beau, que, si j’eusse cru être en l’état qu’il se le figuroit, il m’en eût retiré ; mais, comme je ne pensois pas être dans cette maladie, je m’opposai au remède qu’il me présentoit. Mais il le fortifoit d’autant plus que je semblois le fuir, parce qu’il prenoit mon refus pour endurcissement ; et plus il s’efforçoit de continuer, plus mes remercîmens lui témoignoient que je ne le tenois pas nécessaire. De sorte que toute cette entrevue se passa dans cette équivoque et dans un embarras qui a continué dans toutes les autres et qui ne s’est pu débrouiller. Je ne te rapporterai pas les autres mot a mot, parce qu’il ne seroit pas nécessaire ni à propos. Je te dirai seulement en substance le principal de ce qui s’y est dit ou, pour mieux dire, le principal de leur retenue.

Mais je te prie avant toutes choses de ne tirer aucune conséquence de tout ce que je te mande, parce qu’il pourroit m’échapper de ne pas dire les choses avec assez de justesse ; et cela te pourroit faire naître quelque soupçon peut-être aussi désavantageux qu’injuste. Car enfin, après y avoir bien songé, je n’y trouve qu’une obscurité où il seroit dangereux et difficile de décider, et pour moi j’en suspends entièrement mon jugement, autant à cause de ma foiblesse que pour mon manque de connoissance.


IV. LETTRE DE PASCAL ET DE SA SŒUR JACQUELINE A MME PÉRIER, LEUR SŒUR.


Ce 1er avril 1648.


Nous ne savons si celle-ci sera sans fin aussi bien que les autres, mais nous savons bien que nous voudrions bien t’écrire sans fin. Nous avons ici la lettre de M. de Saint-Cyran, De la vocation imprimée depuis peu sans approbation ni privilège et qui a choqué beaucoup de monde. Nous la lisons ; nous te l’enverrons après. Nous serons bien aises d’en savoir ton sentiment et celui de M. mon père. Elle est fort relevée.

Nous avons plusieurs fois commencé à t’écrire, mais j’en ai été retenu par l’exemple et par les discours ou, si tu veux, par les rebuffades que tu sais ; mais après nous en être éclaircis tant que nous avons pu, je crois que, s’il faut y apporter quelque circonspection, et s’il y a des occasions où l’on ne doit pas parler de ces choses, nous en sommes dispensés ; car comme nous ne doutons point l’un de l’autre, et que nous sommes comme assurés mutuellement que nous n’avons dans tous ces