Page:Paris, Paulin - Romans de la Table Ronde, tome 1.djvu/169

Cette page a été validée par deux contributeurs.
163
AU SAINT-GRAAL.

« Le lendemain, » reprend ici l’ermite, « je fis ce qui m’était commandé. Je sortis de mon habitacle en faisant le signe de la croix sur la porte et sur moi. Je passai le Perron, arrivai au Val des morts, que je reconnus aisément pour y avoir autrefois vu combattre les deux meilleurs chevaliers du monde. Je marchai pendant une lieue galloise[1] et j’arrivai au carrefour : devant moi, sur le bord d’une fontaine, s’élevait une croix, et sous la croix gisait la bête dont l’ange m’avait parlé. En me voyant, elle se leva ; plus je la regardais, moins je reconnaissais sa nature. Elle avait la tête et le cou d’une brebis, de la blancheur de la neige tombée. Ses pieds, ses jambes, étaient d’un chien noir, sa croupe et son corps d’un renard, son poil et sa queue d’un lion. Dès qu’elle me vit faire le signe de la croix, elle se leva, gagna le carrefour et prit à droite la première voie. Je la suivis d’aussi près que mon âge et ma faiblesse le permettaient : à l’heure de Vêpres, elle quitta le grand chemin frayé pour aborder une longue coudrière, dans laquelle elle marcha jusqu’à la chute du jour. Alors nous nous enfonçâmes dans une vallée profonde ombragée d’une épaisse forêt. Nous arrivâmes ainsi de-

  1. « Une lieuve galesche. » Je crois que ces lieues sont les milles, dont les Anglais ont le bon sens de préférer le nom traditionnel à celui de double kilomètre.