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erreur chronologique. Les romans carlovingiens et alexandrins existaient longtemps avant l’époque de la première croisade ; et dans le onzième siècle leur vogue était générale. Les gestes d’Alexandre, de Roland, d’Olivier, de Guillaume d’Orange, charmaient alors toutes les imaginations et contribuèrent puissamment à allumer l’enthousiasme de la Croisade. Quelques pages plus loin, M. Pigeonneau nous dira que le pauvre prêtre Tudebode les avait connues et s’en était inspiré au profit de la Chanson d’Antioche. « Car, dit-il, en les employant, Tudebode n’avait fait qu’imiter les poëtes contemporains qui chantaient en langue vulgaire les exploits de Charlemagne, d’Olivier et de Roland. » Ainsi, dès 1098, Tudebode pouvait tirer parti des romans carlovingiens ; et Richard n’aurait pu le faire en 1100, parce qu’ils n’auraient pas existé ! Ailleurs (p. 19), M. Pigeonneau conteste également l’ancienneté de la légende du Chevalier au Cygne. Car, dit-il, « la gloire de Godefroy de Bouillon dut précéder la gloire légendaire de sa famille. Comme les ancêtres des Douze pairs ou des Chevaliers de la Table ronde, Hélias, le chevalier au Cygne, ne dut la vie qu’à son illustre descendant ». Autant d’erreurs que de mots. Godefroy de Bouillon, fils d’Eustache, comte de Boulogne et de la comtesse Ida, petit-fils de Godefroy le bossu duc de la haute Lorraine, n’était pas le premier héros de sa race ; la tradition rattachait déjà ses ancêtres au fabuleux Chevalier au Cygne ; Guillaume de Tyr devait le constater comme notre Chanson d’Antioche. Dans celle-ci, le duc de Normandie s’indignant de se voir, lui le descendant des Quatre fils Aimon, moins honoré que le fils d’Eustache de Boulogne, les barons lui répondent :

Sire, n’en parlé plus....
Bien avés oï dire qui il est ne qui non.
Son aive duit uns cisne à Nimaie, el sublon,
Tout seul en un batel : ainc n’i ot aviron.
Plus reluisoit ses chiefs que penne de paon.
S’el retint l’Empereur par tel devision