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nous sont parvenues. Si elles confondent en les décomposant tous les éléments de la science historique, elles demeurent cependant l’expression fidèle des mœurs et de l’état de la société, au temps où on les avoit faites, c’est-à-dire aux ixe, xe et xie siècles. Nous verrons que ces grands corps des récits renferment des beautés littéraires du premier ordre, et que nous pouvons sans exagération les opposer à toutes les épopées des autres peuples. Les caractères, les mœurs et les événements y porteront une empreinte particulière. Le roi, la reine, l’épouse et la jeune fille, les barons, les messagers, les clercs, sont comme les pièces du jeu des échecs, toujours les mêmes dans ces chansons, toujours distinctes de ce qu’elles sont dans les autres poésies, et même dans la plupart des chroniques monastiques. Je ne vous ferai pas l’analyse complète de toutes les gestes ; ce travail a déjà été fait pour la plupart d’entre elles, dans le XXIIe volume de l’Histoire littéraire de la France ; je m’attacherai à vous exposer les types généraux hors desquels il n’y a pas, à proprement parler, d’épopée française. Je commencerai par montrer quel est le Roi, dans chacune des gestes ; puis je passerai au type de la Reine, à celui des Barons, des Prélats, des Chevaliers, des Sergents, des gens de peine, des messagers, des hôteliers, des pèlerins, des jeteurs de sorts. Tels sont, autant que je puis m’en souvenir, les principaux types de la chanson de geste. Quand nous les connoîtrons bien, nous pourrons séparer aisément les imitations du xiiie siècle et du xive des textes plus anciens qui en furent les modèles, et nous nous ferons ainsi quelque idée des changements qui s’introduisirent dans la société.

Je connais une seule chanson de geste qui, tout en n’ayant pas été à l’épreuve des remaniements du xiie siècle, a conservé sa pureté historique primitive, sans mélange d’incidents empruntés à d’autres gestes. C’est la partie du Raoul de Cambrai qui se termine avec la vie du héros ; admirable monument d’histoire et de poésie anciennes. Nous nous attacherons particulièrement à cette chanson, pour, de là, chercher des ana-