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la main des hommes l’avait affublée. Mais il ne croit pas avoir omis un seul vers appartenant à l’auteur. J’ai constaté les suppressions qu’il s’est permises, ici de dix vers, ici de quinze, ailleurs de trente, plus loin de quarante ; le tout formant un total de huit cents vers. Voilà ce que M. Jean-Louis Bourdillon de Genève appelle dégager la statue. Cela paraît effectivement assez dégagé[1]. » Le mauvais ton, dans ces lignes, le dispute à la mauvaise foi. M. Génin, d’abord, devait s’étonner moins que personne de la suppression d’un millier de vers dans le choix du meilleur texte, puisqu’il a fréquemment répété que les manuscrits consultés par M. Bourdillon regorgeaient de détails parasites et d’intercalations insipides. Le reproche d’avoir rejeté huit cents vers tombe donc sous l’autorité du censeur qui l’exprime. D’un autre côté, pourquoi cette affectation railleuse à rappeler les prénoms et la patrie d’un littérateur modeste, homme de bonne éducation et de bon lieu ? N’est-ce pas là copier fort mal à propos, des façons d’agir par trop dégagées ? Quand Voltaire descendait à ces indignes moyens, il répondait à d’ardents adversaires, à des Fréron, à des Chaumeix. L’un était juif converti, l’autre natif de Quimper-Corentin. Mais évidemment il n’y avait aucun rapport sensible entre Abraham Chaumeix et M. Bourdillon ; je doute même qu’on en puisse trouver davantage entre Marie Arouet de Voltaire et le citoyen Jean-François Génin, d’Amiens, d’Épinal ou de Montbéliard. Que cela soit dit une fois pour toutes.

L’édition de M. Francisque Michel est, comme nous l’avons dit, la reproduction exacte du manuscrit d’Oxford. Dans une intéressante préface, l’éditeur réunit tous les anciens témoignages relatifs à ces grands noms de Roland et de Roncevaux ; il rassemble les preuves de l’existence et de la conservation de l’ancienne chanson de geste ; il réfute M. de La Rue, qui, prenant occasion d’un nom de jongleur ou de copiste inscrit dans le dernier vers du manuscrit d’Oxford, avait hasardé des hypothèses chimériques aujourd’hui renouvelées par M. Génin. M. Michel expose ensuite les raisons qui l’ont fait recourir à l’emploi des parenthèses et des chiffres :

  1. Introd. de M. Génin, p. cviii. Voici les expressions de M. Bourdillon : « Notre poëme, si l’on peut l’assimiler à une statue, s’est trouvé non pas sorti du bloc de marbre, mais dégagé des haillons dont la main des hommes, pendant plusieurs siècles, l’avait affublé. Ce travail s’est achevé de telle façon qu’en vérité je ne crois pas avoir omis dix vers appartenant à l’auteur ». (Introduction, p. 88.)