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et publié somptueusement à ses dépens, appartenait à celui qui l’avait transcrit et mis en lumière. Personne n’avait droit de le reproduire sans l’agrément de ce premier éditeur ; et par conséquent, il faut que la religion de MM. les membres de la Commission des Impressions gratuites ait été surprise, quand on a fait concourir l’État à la publication d’une sorte de contrefaçon qui pouvait justifier une réclamation judiciaire. Il y a même, sur ce point, autorité de chose jugée : le premier éditeur d’un manuscrit a droit de propriété sur le texte qu’il a publié. Mais M. Génin se croit apparemment au-dessus de la règle générale.

D’ailleurs, si, dans l’Introduction, le nom de M. Francisque Michel est passé sous silence, il apparaît abondamment dans les notules mises plus tard au bas des pages du texte, et dans les notes de la fin du volume. Là, M. Génin a d’autant moins de répugnance à le prononcer, qu’il y trouve une occasion toujours nouvelle de blâmer et de redresser son guide ; à chaque mention, nouveau coup de férule. Nous verrons bientôt quelle justice a présidé à cette magistrale distribution.

Pour moi, j’ai pensé remplir un devoir en examinant, sans aucune complaisance, la nouvelle édition de la Chanson de Roncevaux. M. Génin n’a pas seulement fait un mauvais livre, il a fait une méchante action. Il a beau le dissimuler, la chanson de geste était avant lui découverte, publiée, traduite et commentée. En la traduisant plus mal qu’on n’avait encore fait, en la publiant avec un cortège de fautes qui ne déparait pas la première édition, en touchant avec malheur à l’histoire des commencements de la langue et de la littérature françaises, M. Génin espérait donner à croire qu’il avait seul bien senti le mérite de ce poëme, et le premier découvert les origines du langage en France. Pour mieux atteindre ce but, il a prodigué l’insulte à tous les antiquaires qui l’avaient précédé dans le même ordre de recherches, il a nié le résultat de leurs veilles laborieuses. Or il ne convenait pas d’abandonner à la malveillance intéressée de M. Génin l’honneur des grands travaux accomplis en France depuis un demi-siècle, dans la pensée de faire mieux connaître à l’Europe savante les premiers chefs-d’œuvre de la littérature nationale. Ces travaux n’ont pas été faits, comme il le dit, « au hasard et sans l’aveu du goût ; » ils ont produit tous les résultats qu’on était en droit d’en attendre. La langue du treizième siècle, qu’on s’accordait à considérer comme un patois méprisable, comme un jargon dégénéré,