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autrefois. Les morceaux destinés à être chantés nous semblent surtout insupportables, et ils reviennent très-fréquemment ; mais enfin ils étaient encore au nombre de ceux qu’on goûtait le plus, et, pour appeler notre indulgence, il suffirait peut-être de nous condamner à lire au hasard un des libretti que Mozart, Meyerbeer ou Rossini auront marqué du cachet de leur génie. Nous n’avons plus la musique de tous les sonnets, motels, virelais, ballades et chants royaux dont est parsemé le Mystère de la Passion ; nous sommes donc mauvais juges de l’effet qu’ils pouvaient et devaient produire.

Un reproche que l’ouvrage me semble mériter à plus juste titre, c’est la longueur et la répétition de toutes les scènes dans lesquelles le Fils de l’Homme est livré aux tyrans ou bourreaux de Caïphe et de Pilate. Quelles que soient l’étendue de l’œuvre entière et l’attention scrupuleuse avec laquelle Arnoul Gesban suit pas à pas les évangélistes, depuis l’Ave Maria de Gabriel jusqu’au Consummatum est du Calvaire. Cependant toute cette vie de trente-trois années est jouée dans un espace de trente à quarante heures, coupées en trois ou quatre journées. Or, les tourments, les coups, les outrages infligés à Jésus-Christ depuis le baiser de Judas, le mercredi soir, jusqu’à la mise en croix, prennent dans le Mystère plus de sept ou huit heures, c’est-à-dire pour le moins une des journées. On n’a rien retranché à la véritable durée de ce hideux spectacle : le Sauveur des hommes n’a pas souffert plus longtemps en réalité que, dans le Mystère, celui qui le représente. Comment pouvait-on se complaire à d’aussi interminables tableaux ? Les tourments du Fils de Dieu arrachaient-ils des larmes ; les grossiers jeux de mots des Tyrans provoquaient-ils des éclats de rire ? nous ne savons : les uns et les autres peut-être ; mais nous sommes surpris que les larmes et les rires ne se soient pas lassés dès la première de ces mortelles heures, et le public de nos jours serait assurément incapable d’imiter nos pères dans une attention aussi résolument fatigable.

Au reste, un ouvrage dramatique, fût-il même réduit aux courtes dimensions de nos petites pièces modernes, a besoin du Théâtre ; il perd beaucoup à la simple lecture. Il ne faut donc pas être étonné de sentir l’oppression de la fatigue, quand on entreprend aujourd’hui de lire un de ces grands Mystères du seizième siècle que M. Géruzez appelle, avec beaucoup d’esprit, autant de constructions cyclopéennes, et dans lesquels on trouve la réunion encore confuse de l’opéra bouffon et sérieux, de la tragédie, de la comédie, du vaudeville et de la farce. Les beautés les plus réelles s’effacent quand on prétend les juger loin de la scène à laquelle elles étaient