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j’ai défendu l’ouvrage contre ceux qui l’avaient maltraité ; j’ai souvent trouvé l’occasion de louer et quelquefois d’admirer l’agrément des détails, l’esprit et la vivacité du dialogue, l’heureux enchaînement des effets, enfin la puissance littéraire de la composition générale.

Pour juger un pareil livre avec équité, il faut oublier les théories dramatiques modernes et ne pas accuser Arnoul Gresban de les avoir méconnues. Le Mystère était, je le répète, l’histoire racontée par personnages ; il ne comportait d’autre unité que celle de l’histoire même, et c’est bien le cas de dire l’unité est là ce qu’elle peut. Un Mystère qui se serait contenté de reproduire nos chefs-d’œuvre, Iphigénie, Britannicus ou Athalie, n’aurait jamais été représenté. Il ne faut donc pas lui demander ce que nous ne retrouvons pas même chez Williams Shakspeare, chez Lope de Vega ni chez Gœthe.

On s’accorde à regarder le style des Mystères comme leur côté le plus vulnérable ; la faiblesse de la versification ne saurait, dit-on, trouver son excuse dans l’imperfection de l’ancienne théorie dramatique. Mais si nous avons été frappés des nombreux défauts qui appartiennent à la langue et à la versification du quinzième siècle, nous l’avons été plus encore des nombreuses beautés qu’on trouverait sans doute, mais à de rares intervalles chez les autres contemporains. J’ai pu vous citer fort souvent de belles scènes dans lesquelles le dialogue est précisément ce qu’il doit être, et comme arrangement et comme exécution. Tel est le grand Procès de l’Humanité, instruit par les Attributs de Dieu et jugé par la Divinité elle-même. Telle est la première scène des Bergers, dans laquelle Arnoul Gresban a si agréablement lié au sentiment du bonheur de la vie champêtre le récit du grand événement du jour, l’ordre donné par César de prendre le nom de tous les habitants de l’Empire romain. Telle est la conférence des Trois Rois avec Hérode, de ce prince qui ne peut s’empêcher de voir dans l’objet de leurs recherches une atteinte aux droits qu’il tient de la volonté de Tibère. Tel est surtout le dialogue de Magdeleine avec les jeunes seigneurs juifs qui, revenant du sermon prêché par Jésus, expriment si bien leur émotion profonde et donnent à la jeune et belle fille le désir de suivre le divin prophète, qui la verra bientôt inonder ses pieds du parfum de ses larmes. Dans toutes ces scènes et dans vingt autres, la pensée est ferme et juste, la langue est convenable et suffit à la pensée. Mais le style nous en convenons, ne se maintient pas à la même hauteur. Souvent il présente un fâcheux abus de rimes, une recherche puérile de pointes redoublées : c’était là ce qu’on admirait le plus