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lonial qui doit savoir ce qui leur convient. Il est payé pour le savoir. À lui l’honneur du succès, la honte de l’erreur, la responsabilité des décisions, et la troupe moutonnière emboîtait le pas après lui. Mais les hommes qui toute leur vie ont été amis des droits et des libertés publics sans jamais les déserter, les principes de la science du juste et du droit : — le vertueux Sir James MacIntosh, dans nos premières luttes ; lord Brougham l’homme le plus universel et le plus étonnamment savant des jours actuels ; mais O’Connell, le plus éloquent des défenseurs des droits de l’Irlande, avant lui défendus par des géants en puissance oratoire, les Curran, les Gratton, les Plunket, et tant d’autres ; mais Hume, qui consacre sa grande fortune à la protection des colonies ; qui, entouré de quatre secrétaires, travaille jour et nuit, et se prive de toute récréation, parce que les méfaits commis dans les possessions anglaises des cinq continents et de leurs archipels, par les délégués de l’aristocratie, sont incessamment portés à sa connaissance, avec prières de protester contre le mal ; et une foule d’autres dignes et bons Anglais nous ont compris, et nous ont loués. Que signifie le nombre d’ignorants et d’intéressés qui nous condamnèrent parce qu’ils étaient soudoyés pour cela, intéressés à cela, intéressés à la destruction de tous les sentiments hostiles à l’arbitraire et à l’oppression ?

Par le nombre nous étions dix contre un dans les deux provinces. Par la moralité, par le désintéressement, par l’influence justement acquise, nous étions dix fois plus puissants que par le nombre. Les peuples anglais et irlandais, par ceux qui étaient leurs véritables et dignes représentants, nous ont approuvés ; les gouvernants et les gouvernés américains nous ont approuvés ; les hommes éclairés du continent européen nous ont approuvés ; mais surtout nos compatriotes, pour qui nous avons souffert et qui ont souffert avec nous, nous ont approuvés ; mieux que cela encore, notre conscience nous a approuvés.

Ceux qui aujourd’hui s’exilent en si grand nombre, parce que le dégoût pour les hommes et les mesures actuels les pousse à aller respirer un air plus pur, disent à l’étranger quels sont les stigmates que le colon porte au front ; quelles sont les entraves qui l’arrêtent dans sa marche vers le progrès ; les menottes qui enchaînent ces mêmes bras si peu producteurs sur le sol natal, gouverné par et pour l’aristocratie, si recherchés et si largement producteurs sur le sol affranchi ! Soyez-en assurés, ils préparent des angoisses et des déboires au ministre de la guerre. Ils pulvérisent ses batteries de bronze par celles de la presse libre, par celles de la libre discussion. Ils donneront de plus en plus des consolations et des espérances aux opprimés : ils avancent l’heure des rétributions, l’heure des nobles vengeances, où le bien sera fait même à ceux qui ont pratiqué le mal.

Les privilégiés s’imaginent toujours que la prière et la plainte contre les abus qui leur profitent sont une invitation à les réprimer par la violence. Les hommes fiers, justes et éclairés, dont les convictions sont intenses parce qu’elles sont le résultat de fortes études et de longues méditations, ont foi dans l’empire de la raison, et c’est à la raison seule qu’ils demandent la correction des abus. Leurs efforts s’adressent à tous, aux puissants d’abord, pour leur inspirer de la sympathie pour le peuple souffrant et appauvri par les abus. Ils leur présentent la gloire et le bonheur à conquérir, s’ils savent rendre la société de leur temps plus prospère et plus morale qu’elle ne l’a été dans les temps qui ont précédé. Ils s’adressent à eux d’abord et de préférence, parce que leur esprit étant plus cultivé, ils seraient mieux préparés à pouvoir envisager les questions d’intérêt général sous tous leurs différents aspects, et à les résoudre vite et bien si l’égoïsme ne les aveugle pas. Ils s’adressent ensuite aux masses, pour leur dire que le sabre n’est pas entre leurs mains, mais que la raison est le plus riche et le plus précieux des dons divins et qu’il a été départi à tous à peu près également, que la culture de l’esprit peut en centupler la fécondité et la vigueur ; que pour défricher la terre il faut la force physique éclairée par l’expérience, mais que pour faire de bonnes constitutions et de bonnes lois, et pour les appliquer sagement, il faut avant tout une haute raison, éclairée non-seulement par des études sérieuses, mais surtout par le dévouement réel au pays, et par l’absence de toute convoitise personnelle, d’ambition ou d’intérêt. Voilà ce qui se voyait autrefois, voilà ce qui est devenu rare, aujourd’hui que les fortunes acquises aux dépends du public, et surtout de l’honneur personnel, sont devenues si nombreuses ! Que ces reproches de propension à la violence viennent mal de ceux qui ont constamment recours à la