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« vaincre ou mourir » n’avaient été prononcés avec autant de nécessité qu’à cet instant suprême. Il fallait obéir, sous peine d’asservissement à l’étranger. La résistance à l’armement, la fuite de l’enrôlement, étaient des crimes contre la France, et contre l’humanité, que la France voulait voir libre autour d’elle comme chez elle. Le tribunal avait été constitué, par la législature, pour l’absolutisme, avec des pouvoirs exorbitants et exceptionnels. Ses membres les plus actifs se sont livrés avec colère à la poursuite de ceux qui étaient dénoncés comme conspirateurs contre l’armement et contre la défense du sol envahi. Les précautions voulues par la loi qui le constituait ont été violées en un trop grand nombre de cas. De là la juste et perpétuelle infamie qui s’attache à son nom. En deux ans de temps il a condamné à mort un peu moins de deux mille victimes ! C’est atroce ! Proportion gardée aux populations, l’immolation en Canada a été cinq fois plus nombreuse.

Au Canada, lors du second soulèvement, il n’y avait pas de dangers possibles pour le gouvernement mis sur ses gardes, et fortifié par la présence de plusieurs régiments venus depuis la première prise d’armes. Tous les tribunaux réguliers du pays exerçaient librement leur autorité. Personne n’a pu être légalement arraché à la juridiction de ses juges naturels, sans que ceux qui l’ordonnaient ne fussent en révolte ouverte contre la loi à laquelle ils devaient soumission.

Beaucoup de ceux qui ont été assassinés n’ayant pas été pris les armes à la main, ils pouvaient être détenus par la suspension de l’acte d’habeas corpus, pour être livrés plus tard à des poursuites criminelles devant les juges et les jurés. Pour que la proportion fût la même qu’en France sous Robespierre, il n’eût fallu que dix-sept poursuites ; il y a eu quatre-vingt-neuf condamnations, toutes illégales, plus vindicatives, plus atroces que celles qu’a ordonnées le Comité de Salut Public ! Soyons-en certains, le nom de celui qui a signé l’ordre d’établir ces cours martiales, qui a signé dix-sept arrêts de mort suivis d’exécution, a plongé ses mains dans le sang innocent plus que ne l’avait fait le comité maudit. Son nom sera à perpétuité accolé à ceux des plus odieux criminels de 1793. Et ceux qui l’ont poussé à cette inique détermination font partie de la même bande. L’aristocratie se l’agrégea sous le titre de lord Seaton : au Canada, on l’appela « milord Satan ».

Un troisième régime soldatesque ne se verra probablement pas en Canada. La presse a trop émoussé et détrempé le sabre. Il n’est plus bon à rien pour la politique.

Le Conseil spécial est un autre régime, que ceux qui le donnent et ceux qui en acceptent l’exercice déclarent être mauvais mais temporaire. M. Poulett Thomson est envoyé pour l’inaugurer. Il n’y eut jamais d’autobiographie plus insolente que celle où cet homme très-vicieux s’incrimine lui-même, en étalant avec ostentation les moyens de violence et de corruption qu’il a employés pour se donner une majorité factice dans les assemblées des deux Canadas.

Ces scandaleux aveux auraient dû lui attirer l’animadversion de ses supérieurs, si le gouvernement anglais n’avait pas été celui qui de longue main avait voulu l’Union des deux Canadas, et poussé à la demander ceux de ses fonctionnaires provinciaux qui relevaient plus directement de lui, ainsi que la foule d’émissaires secrets, de voyageurs pensionnés, qui partout intriguaient pour lui.

Il avait trop à cœur, au prix de n’importe quelles hontes, le succès de cette mesure, pour ne pas récompenser, en se l’associant, un homme qui avait agi avec une aussi entière conformité aux nobles et pratiques habitudes de l’aristocratie anglaise.

Il fut fait lord Sydenham.

Le quatrième régime parlementaire fut forcément imposé comme tous les actes antérieurs, sans que les populations eussent été consultées.

Une liste civile fut votée par le parlement où nous n’étions pas représentés. La violence impose, la force maintient de pareilles usurpations.

Elles violent le droit. Elles outragent le faible ; – mais s’il est un homme gouverné par des principes fixes, il ne doit pas baiser la main qui le frappe. Il doit protester et dire : « Au premier jour que vous serez faible, que je serai fort de vos embarras, je serai vengé. »

Les hommes qui ont accepté la loi du plus fort et son usurpation, qui l’ont flattée, qui l’ont servie, ont crié bien haut : « l’Union nous a sauvés !  ! »

Ils se sont étourdis sur la honte d’être déserteurs de principes qu’ils avaient proclamés être les seuls vrais, les seuls salu-