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de prison un favori nécessiteux, ignorant de la loi civile et de la langue française, et par commission sur parchemin on l’affubla de la robe de juge-en-chef. Digne chef de ses assesseurs de même démérite que lui.

Tous étaient si gonflés de haine et de fanatisme contre les Canadiens-Français et le catholicisme, que le gouverneur dut quelquefois mater leurs projets de persécution.

Rencontrant au contraire des Canadiens instruits et de bonnes manières, gentilshommes dans toute la force du mot, il leur porta un affectueux intérêt.

Son gouvernement à patente royale, avait été fabriqué dans le Conseil Privé, sans consultation évidemment avec les aviseurs légaux de la Couronne. L’aristocratie, armée de l’épée de Brennus, et de son rugissement de Vae victis, décréta que les lois anglaises seraient celles du Canada « autant que les circonstances le permettraient. » Odieuse équivoque étudiée, qui livrait tout à l’arbitraire, et laissait aux juges la faculté de décider toujours pour l’ami, toujours pour le parti, toujours pour l’acheteur, toujours pour l’Anglais, puisque « les circonstances le permettaient ».

Les charges publiques furent ouvertement vendues au rabais, par les titulaires à des substituts.

Le général, indigné des violences du juge-en-chef, dut le suspendre et le renvoyer en Angleterre. Toute la population anglaise s’irrite contre le gouverneur, et le peu de Canadiens qui prennent part aux affaires expriment leur confiance en lui.

Dégoûté de la tâche qu’il a à remplir, il écrit en Angleterre : « Sous prétexte que les lois d’exclusion contre les catholiques en Angleterre et en Irlande sont applicables au Canada, les nouveaux sujets sont exclus de toute charge publique. Il n’y a que parmi la population anglaise et protestante qu’ont été pris les magistrats et les jurés. Elle ne compte en tout qu’environ 450 hommes, la plupart méprisables par leur ignorance. Ils sont enivrés de l’importance imprévue qui les a atteints, et s’empressent de l’exercer avec ostentation et rigueur. Ils haïssent la noblesse canadienne, parce qu’elle est respectable, et le reste de la population et moi, parce que j’empêche un peu le mal qu’ils voulaient lui faire. »

Le commerce de Londres, soulevé et aveuglé par celui du Canada, demande le rappel du gouverneur Murray et l’obtient. Celui-ci fut révoqué parce qu’il était devenu sympathique aux Canadiens. Il demande une enquête, et, après examen, le Conseil Privé décide que les accusations portées contre lui sont mal fondées.

Enfin les officiers en loi de la Couronne sont consultés. Ils font désavouer en 1766 les ordonnances de 1764, qui excluaient les nouveaux sujets de toute participation à l’administration de la justice, et en font passer une qui leur permet d’être jurés et avocats.

Là se borna pour l’instant la portioncule de justice qu’on leur départit.

Puis tout resta chaos et désordre jusqu’au Bill ou Acte de Québec, adopté après que les officiers en loi de la Couronne eurent formellement déclaré que le roi seul n’était pas législateur ; qu’il n’était tel qu’avec les deux Chambres du Parlement ; que la proclamation de 1763 et tout ce qui s’était fait de prétendue législation sous son autorité étaient autant d’actes inconstitutionnels et nuls.

Ainsi le gouvernement le plus parfait au monde selon Montesquieu, Blackstone, Delolme, était demeuré douze ans entiers dans l’ignorance de son ignorance, de ses usurpations, de son incapacité et de sa négligence à gouverner par la loi plutôt que par l’arbitraire, toujours armé du glaive de l’injustice, jamais des balances ni du bandeau de la justice.

Toute cette partie de notre histoire a été pour la première fois élucidée, mise en ordre, écrite avec l’âme et la sensibilité d’un patriote, la profondeur de pensée d’un homme d’état, l’intégrité d’un juge impartial et éclairé, les charmes d’un style facile et pur, par notre vertueux compatriote, le meilleur de nos historiens, le regretté monsieur Garneau, mon ami intime, dont tous les jours je déplore la fin, ainsi que celle de tant d’autres hommes de rares mérites avec qui j’ai agi, – auxquels je survis. C’est encore un des livres dont je recommande la lecture assidue et réfléchie à quiconque aime le Canada et veut aider à l’amélioration de son sort.

Quant aux époques plus récentes, l’histoire a été très-fidèle à la règle de n’oser rien dire de faux. Mais le désir de la conciliation, la pression cléricale, me semblent l’avoir laissé moins libre qu’il ne le fallait pour oser ne rien taire du vrai.