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L’ironie sentimentale ou émotionnelle est celle où domine et transparaît la passion : tantôt une passion contenue et voilée de mélancolie comme chez Heine, tantôt une passion violente et indomptée qui se manifeste comme chez Swift (ambition déçue) par une verve indignée et vengeresse.

À un autre point de vue, on pourrait distinguer peut-être une ironie spontanée, inconsciente, et une ironie réfléchie, consciente. Cette dernière est la seule, à vrai dire, qui semble au premier abord mériter le nom d’ironie. Car ce qui caractérise l’ironie, c’est une intellectualité très lucide, très consciente des choses et d’elle-même. Toutefois n’oublions pas que le trait essentiel de l’ironie se trouve dans cette dualité de pensée que nous avons dite, dans cette Doppelgängerei qui scinde l’être conscient en deux parties, qui le brise, le désagrège, le rend multiple et inconsistant à ses propres yeux. Or cette dualité peut exister chez un être humain à l’état spontané et latent avant de passer à l’état de pleine conscience. M. A. Gide a donné, dans son roman l’Immoraliste, une curieuse peinture d’un cas pathologique d’une âme en voie de désagrégation ou plutôt en voie de transformation et de mutation, qui se joue d’elle-même, de ce qu’elle est et de ce qu’elle possède ; qui détruit peu à peu tout ce qui fait sa vie, par une sorte d’ironisme en action qu’elle pratique inconsciemment.

Signalons enfin une dernière distinction possible entre les variétés de l’ironie. On pourrait distinguer de l’ironie proprement dite, qui est un état d’intelli-