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l’univers ou de Dieu. L’attitude ironiste implique qu’il existe dans les choses un fond de contradiction, c’est-à-dire au point de vue de notre raison, un fond d’absurdité fondamental et irrémédiable. Cela revient à dire que le principe de l’ironie n’est autre que le pessimisme. C’est une conception essentiellement pessimiste que celle de cette Loi d’Ironie que plusieurs penseurs de notre temps ont formulée presque dans les mêmes termes et sans s’être donné le mot. Nous la trouvons chez Ed. de Hartmann. « C’est une remarque triviale, dit-il, que l’homme le plus prévoyant est incapable de calculer la portée de ses actes. Une fois que la flèche a quitté l’arc, que la balle a quitté le fusil, que la pierre a quitté la main qui l’a lancée, elles appartiennent au diable, comme le dit le proverbe… » Plus loin Hartmann parle de « cette loi historique générale qui veut que les hommes sachent rarement et obscurément les buts auxquels ils tendent et que ces buts se transforment entre leurs mains en fins toutes différentes. Cela peut être appelé l’ironie de la nature et n’est qu’une suite des ruses de l’idée inconsciente[1]. » — Amiel insiste à diverses reprises sur la même pensée : « Chemin faisant, dit-il, vu de nouvelles applications de ma loi d’ironie. Chaque époque a deux aspirations contradictoires, qui se repoussent logiquement et s’associent de fait. Ainsi, au siècle dernier, le matérialisme philosophique était partisan de la liberté. Maintenant

  1. E. von Hartmann, Das sittliche Bewusstsein, p. 589.