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LA SENSIBILITÉ INDIVIDUALISTE.

un sentiment tout opposé : une estime exagérée des hommes. Stendhal dit : « J’étais sujet à trop respecter dans ma jeunesse[1]. » Il s’est plus tard guéri de ce défaut. Il a remplacé la manie respectante par le mépris habituel. Attitude beaucoup plus rationnelle dans la société. — Le mépris individualiste a ceci de particulier qu’il s’attache de propos délibéré aux « choses sociales », comme dit Vigny et aux gens qui vivent uniquement par ces choses sociales et pour elles. Ces « choses sociales » sont toute organisation sociale définie, toute hiérarchie, toute situation sociale acquise dans cette hiérarchie, toute mentalité collective figée, convenue et prévue, telle que esprit de caste, esprit de groupe, esprit de corps, préjugés, hypocrisies et mots d’ordre régnant dans tout compartiment social. Le mépris individualiste se distingue du mépris de l’humanité en général ou misanthropie d’un Alceste ; il se distingue aussi du mépris romantique d’un Lorenzaccio pour la lâcheté des peuples asservis. C’est un mépris proprement antisocial, un mépris qui s’adresse à des groupes humains déterminés et à l’âme, si l’on ose parler ainsi, de ces groupes.

Ce mépris affecte bien des degrés de nuances, depuis le mépris rageur de Julien Sorel pour l’orgueil nobiliaire des La Môle, — depuis le mépris hargneux d’un Vallès pour son milieu universitaire, jusqu’à la nausée que cause à Stendhal la « boue

  1. Stendhal, Souvenirs d’égotisme.