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LA SENSIBILITÉ INDIVIDUALISTE.

bruit ou du pouvoir, la satisfaction d’écraser ses adversaires, de démentir ses envieux, de tenir jusqu’au bout un rôle applaudi[1]. » — Ici nous retrouvons l’insincérité dont nous avons parlé plus haut et dont le solidarisme a tant de peine à se dégager. Ceux qui invoquent la philosophie solidariste sont, la plupart du temps, des personnalités absorbantes et autoritaires, des ambitieux à qui l’idée solidariste sert de prétexte pour étendre leur empire sur les autres volontés. Ces gens interdisent à l’individualiste l’isolement comme une immoralité. — C’est en vain que l’individualiste regimbera, qu’il invoquera l’inviolabilité de son moi, voudra fermer sa porte et rester, suivant le reproche consacré, « dans sa tour d’ivoire » ; le solidariste le poursuivra dans ses retranchements, lui interdira d’avoir un « chez lui », de verrouiller son moi ; il lui mettra la main au collet et le forcera à marcher au nom de la solidarité !

Nous avons tous connu le type du politicien solidariste. À l’heure où j’écris, ce type n’est pas mort. Il n’est pas encore entièrement usé dans les lointaines sous-préfectures. La spécialité du politicien solidariste est de rappeler sans cesse aux fonctionnaires qu’il veut « faire marcher » leur « devoir social » (œuvres post-scolaires, éducation populaire, conférences plus ou moins directement électorales, etc.). — Le « devoir social » a ceci de bon qu’il est très élastique et indéfiniment extensible. L’État étant

  1. Sainte Beuve, Volupté, p. 205.