Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
LA SENSIBILITÉ INDIVIDUALISTE.

son l’indice d’une intellectualité grossière : « Si, comme dit Pascal, à mesure qu’on est plus développé, on trouve plus de différence entre les hommes, on ne peut dire que l’instinct démocratique développe beaucoup l’esprit, puisqu’il fait croire à l’égalité des mérites en vertu de la similitude des prétentions[1]. » Le chrétien dit : « Faites à autrui ce que vous voudriez qu’il vous fît. » À quoi un dramaturge moraliste, B. Shaw, réplique avec esprit : « Ne faites pas à autrui ce que vous voudriez qu’il vous fît : vous n’avez peut-être pas les mêmes goûts. »

Tous les grands individualistes communient dans ce trait : l’amour et la culture de la différence humaine, de l’unicité. « La tête de chacun, dit Vigny, est un moule où se modèle toute une masse d’idées. Cette tête une fois cassée par la mort, ne cherchez plus à recomposer un ensemble pareil, il est détruit pour toujours[2]. » Stendhal dit que chaque homme a sa façon à lui d’aller à la chasse au bonheur. C’est ce qu’on appelle son caractère. « Je conclus de ce souvenir, si présent à mes yeux, qu’en 1793, il y a quarante-deux ans, j’allais à la chasse au bonheur précisément comme aujourd’hui ; en d’autres termes plus communs, mon caractère était absolument le même qu’aujourd’hui[3]. »

Benjamin Constant tire du sentiment de son unicité cette conclusion pratique : « En réfléchissant à

  1. Amiel, Journal intime, II, p. 205.
  2. Vigny, Lettre à Lord X
  3. Stendhal, Vie de Henri Brulard, p.110.