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l’androgyne

— « Mon père, je sors d’aujourd’hui de la vie familiale ; au seuil de la vie hasardeuse, un dévouement me salue d’une parole douce à écouter. Je me rendrais indigne d’amitié si je n’étais pas pieux pour cette première fleur d’amour éclose à mon regard.

« Dieu lui-même ne fut pas plus aimé par ses saints que moi en ce moment par Agûr. Avec un geste j’aurais fait de lui un sacrilège ; il vous eût frappé, vous, l’oint du Seigneur, je lui dois de conserver toujours ce papier, où tant de son âme a coulé avec si peu d’encre. Peut-être que jamais il n’aura un aussi noble élan vers autrui ; peut-être n’aurai-je jamais à contempler un si bel effet de mon charme.

« Je vais à la chapelle et me joindrai à la pension quand elle ira au dortoir ; je ne dinerai pas… Demain je vous écouterai très docilement ; maintenant je suis comme un qui rêve des choses délicieuses et tristes ; ne m’éveillez pas de cette absorption, je sens que l’on ne revit pas deux fois cette heure. Excusez-moi de toute chose, soyez bon, Révérend, je m’en vais face à Dieu vibrer mon émotion. »

Circonspecte au maniement des âmes, l’éducation jésuitique laisse toujours une incroyable latitude aux premiers jours passés en leur collège ; ces artistes de la pédagogie, avant de serrer les ais de la discipline autour de l’enfant, veulent un peu de libre expansion, afin de savoir, dès l’abord, comment manier le jeune être sans le faire souffrir.

Le P. Reugny, pour d’autres raisons, s’accommodait