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elle ressemble au ciel empyrée qui est fondé sur le néant, mais que Dieu habite. A vrai dire, un tel état n’a plus de nom : l’amour y vit sans parole, sans raisonnement, sans passion, dans une grande lumière enveloppée de ténèbres. Il vit et ne vit plus ; son être n’est plus à lui ; transformé dans le Christ, il a choisi pour sa volonté la volonté de Dieu. Le poëte a célébré plus d’une fois les mystères de cet anéantissement; il en connaît le péril, et c’est pourquoi, après avoir conduit, l’âme jusqu’en haut, il l’avertit de se garder : « Quand tu te verras élevé aux dernières cimes, c’est alors, mon âme, qu’il faut craindre de tomber. Mais tiens-toi toute timide et tout humble, et chasse de tes pensées la vaine gloire qui sollicite toujours la nature humaine à s’approprier quelque bien. Remercie la souveraine puissance, et dis-lui : «  Ô ma vie je vous prie de me conserver. Pour moi, je ne sais, si je ne suis point mauvais et coupable, mais votre grâce certainement vient de vous seule[1].» En effet, nous touchons à l’abîme ; et quand Jacopone veut faire passer l’âme par le néant pour la conduire a Dieu, l’excès de ses expressions rappelle le panthéisme indien, proposant comme dernière félicité l’apathie éternelle, l’anéantissement de la personne humaine dans l’immensité divine. Quand

  1. Jacopone, II, 23, 20 v. 34 ; VII, 19 v. 23, stance 18

    Quando tu fossi poi piu alto salita.
    Allor ti guarda ~piu di non cadere.