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et il a sur lui cet avantage que Jupiter s’abstient des plaisirs parce qu’il ne peut pas en user, le sage parce qu’il ne veut pas en user[1]. » Ainsi l’homme arrive par sa propre force non-seulement au niveau de Dieu, mais plus haut que Dieu. Voilà les rêves qui durent plus d’une fois fasciner les âmes des anachorètes dans leurs longues veilles, dans leurs nuits passées en contemplation. En effet, c’est le moine Pélage, égaré par le stoïcisme, qui vient professer cette doctrine que la nature n’a pas souffert du péché originel ; qu’elle est par conséquent restée intacte, et qu’elle est toujours en mesure de s’élever jusqu’à Dieu par sa seule force ; la grâce n’existe pas, elle est inutile, ou plutôt elle existe, mais elle n’est rien autre chose que la possibilité de faire le bien, que la liberté humaine, que la loi divine promulguée par l’Évangile ; c’est une lumière qui éclaire l’intelligence sans qu’aucune impulsion vienne aider et soutenir la volonté. La prière n’a plus de sens, et avec elle s’évanouit cette consolation que l’homme faible trouve en recourant à Dieu qui est fort[2].

Voilà l’ensemble des erreurs de Pélage contre lesquelles fut suscité saint Augustin, comme Athanase l’avait été contre les erreurs d’Arius. Ces deux doctrines se touchaient de près ; elles remplirent, à elles deux, un siècle et demi de disputes et de combats ;

  1. Epist. ad Lucilium, LXXIII, 13 : « Sapiens tam æquo animo omnia apud alios videt contemnitque quam Jupiter ; et hoc se magis suscipit, quod Jupiter uti illis non potest, sapiens non vult. »
  2. Voir les notes à la fin de la leçon.