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convertis consentirent à tenir leurs anciens dieux pour autant de démons, mis à la condition de les craindre, de les invoquer, d’attacher une vertu secrète à leurs images. Ainsi les Florentins avaient consacré à saint Jean le temple de Mars : mais l’épouvante environnait encore la statue du dieu déchu ; on la transporta, non sans respect, à l’entrée du vieux pont. Or, en 1215, un meurtre commis en ce lieu mit aux prises les Guelfes et les Gibelins ; sur quoi l’historien Villani[1], un homme sage, mais entraîné par l’opinion de son temps, conclut « que l’ennemi de la race humaine avait gardé un certain pouvoir dans son ancienne idole, puisque aux pieds de cette idole fut commis le crime qui livra Florence à tant de maux. » Les fantômes de ces puissances malfaisantes se retiraient lentement. Les imaginations ne pouvaient se détacher de ce qui les avait émues pendant tant de siècles : on faisait intervenir les anciennes divinités dans les imprécations et les serments ; les Italiens jurent encore par Bacchus. En même temps les souvenirs du paganisme se perpétuaient aussi opiniâtres et plus dangereux dans ces fêtes sensuelles, dans ces orgies et ces chants obscènes que les canons des conciles ne cessent de poursuivre en Italie, en France, en Espagne. Les pèlerins du Nord qui visitaient Rome s’étonnaient d’y voir les calendes

  1. Villani, Cronaca, lib. I, 42, 60. « E con tutto chè i Fiorentini fossero divenuti Cristiani, ancora teneano molti costumi del Paganesimo……  » Id., ibid., lib. V, 38 : « E ben mostro che’l nemico dell’ umana generazione per le peccata de’ Fiorentini avesse podere nell’ idola di Marte, il quale i Fiorentini adoravano anticamente. »