Page:Ovide - Les Amours, traduction Séguier, 1879.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
LES AMOURS

Un lit sevré de ce qu’on aime ?
Quand le juste succombe (excusez ce blasphème),
Je crois que les Dieux ne sont rien.
Vis pieux, tu mourras ; cours aux temples, la Parque
T’en aura bientôt arraché.
Aux Muses fions-nous : Tibulle est là couché…
Qu’en reste-t-il ? l’urne le marque.

C’est toi, chantre sacré, que la flamme a noirci ?
Ton cœur, elle osa le dissoudre ?
Que n’a-t-elle réduit nos parvis d’or en poudre,
Plutôt que d’attenter ainsi !
La déesse d’Éryx détourna son visage
Que mouillait un pleur continu.
Pourtant ceci vaut mieux que gésir inconnu
À Corcyre, en un coin sauvage.
Ici, du moins sa mère a clos ses yeux éteints,
Fait les derniers dons à sa cendre.
Ici, sa sœur a pu, comme elle, au deuil se rendre,
En s’échevelant des deux mains.
Tes deux belles ont joint leurs baisers sur ta bouche,
Sans quitter le bûcher jaloux.
Délia dit enfin : » Mon sort fut le plus doux :
Tu vivais, quand j’ornais ta couche. »
Lors Némésis : « Pourquoi me plaindre en tes transports ?
Mourant, sa main pressait la mienne. »
Ah ! Tibulle aura pris la route Élysienne,
S’il reste une âme après le corps.