Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/35

Cette page n’a pas encore été corrigée

sépulture aille s’offrir à tes yeux. Fusses-tu plus dur que le fer et que le diamant, plus dur que toi-même. "Ce n’est pas ainsi, diras-tu, que tu devais me suivre, ô Phyllis." Souvent j’ai soif de poison. Souvent je voudrais périr par une mort cruelle, par le fer d’un glaive. Ce cou que tes bras infidèles ont entouré, je voudrais l’étreindre d’un lacet. Ma résolution est prise. Une mort prématurée vengera ma jeunesse abusée. Le choix du trépas m’arrêtera peu. Tu seras nommé sur mon sépulcre, comme la cause odieuse de ma mort. Par cette inscription ou une autre semblable, ton crime sera connu : "Démophoon, y lira-t-on, donna la mort à Phyllis ; il était son hôte, elle fut son amante. C’est lui qui causa son trépas, elle qui le consomma."



BRISÉIS À ACHILLE

La lettre que tu lis vient de Briséis que l’on t’enleva. Une main barbare put à peine en bien former les caractères grecs. Les taches que tu y verras, ce sont mes larmes qui les ont faites, mais les larmes ont tout le poids de la parole. S’il est permis à une esclave, à une épouse de se plaindre un peu de toi, je dois m’en plaindre un peu, mon maître et mon époux. Que j’aie été livrée sur-le-champ au roi qui me réclamait, ce n’est pas ta faute, bien que tu ne sois pas innocent de la promptitude avec laquelle je fus remise entre les mains d’Eurybate et de Talthybius, aussitôt qu’ils m’eurent demandée. Jetant les yeux l’un sur l’autre, ils se demandaient silencieusement où était notre amour.

On pouvait différer. Ce délai eût été pour moi une faveur dans mon chagrin. Je partis, hélas, sans te donner aucun baiser, mais je versai des larmes sans fin, et je m’arrachai les cheveux. Infortunée ! Il me sembla qu’on me faisait pour la seconde fois prisonnière[1]. Souvent je voulus, trompant la vigilance de mes gardiens, revenir sur mes pas, mais l’ennemi était là, prêt à saisir une femme timide. Je craignais, si je me fusse avancée, d’être prise pendant la nuit, et conduite, comme esclave, à quelque bru de Priam. Mais j’ai été livrée. Il fallait sans doute que je le fusse. Malgré tant de nuits passées loin de moi, tu ne me réclames pas. Tu attends, et ta colère est lente à éclater. Le fils de Ménoete lui-même, témoin de mon départ, me dit tout bas : "Pourquoi pleurer ? tu seras bientôt de retour."

C’est peu de ne m’avoir pas réclamée. Tu t’opposes à ce qu’on me rende, Achille. Va, maintenant porte le nom d’amant passionné. Les fils de Télamon et d’Amyntor sont venus te trouver. L’un t’est attaché par les liens du sang[2],

  1. Briséis avait été prise une première fois, après la siège de Lyrnesse.
  2. Télamon, frère de Pélée, était père d’Achille. C’est principalement sur cette parenté qu’Ajax se fonda pour réclamer les armes d’Achille. ( Metam. XIII, 21.)