Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/348

Cette page a été validée par deux contributeurs.
320
les métamorphoses

de le reconnaître pour le fils de Jupiter ; il refuse également ce nom à Persée(35), qu’une pluie d’or fit naître du sein de Danaé(36). Mais bientôt Acrise (telle est la puissance de la vérité) n’éprouve pas moins de regrets d’avoir offensé le dieu que d’avoir méconnu son petit-fils. L’un est déjà reçu dans le céleste séjour ; l’autre, portant la tête d’un monstre fameux, hérissée de serpents, et sa dépouille à la main, fend les plaines de l’air sur ses ailes sifflantes. Vainqueur de la Gorgone, il plane sur les sables de la Libye, lorsque des gouttes de sang tombent de la tête du monstre : la terre les reçoit, les anime, et les change en autant de reptiles divers. Telle est l’origine des serpents qui remplissent et infestent cette contrée. Bientôt, ballotté dans l’espace, il vole au gré des vents contraires, comme un nuage chargé de pluie ; il voit du haut des cieux la terre lointaine, et, dans son vol, il parcourt tout l’univers. Trois fois il voit l’Ourse glacée et les bras du Cancer : il est tour à tour emporté vers l’occident, tantôt vers l’orient. Enfin au déclin du jour, craignant de se confier à la nuit, il arrête son vol sur les côtes de l’Hespérie, dans le royaume d’Atlas(37) ; il demande quelques instants de repos, jusqu’à l’heure où Lucifer ramène les feux de l’Aurore, et l’Aurore le char du Soleil. C’est là que règne le fils de Japet, Atlas, qui surpasse tous les mortels par l’énormité de sa taille : il tient sous ses lois l’extrémité du monde et la mer qui ouvre ses flots aux coursiers du soleil, hors d’haleine, et offre un asile à son char épuisé par les fatigues du jour. Mille troupeaux de brebis et de bœufs errent dans ses campagnes ; son empire n’est point gêné par les limites d’un empire voisin, et ses arbres(38), ombragés de feuilles qui jettent l’éclat de l’or, portent des pommes d’or suspendues à l’or de leurs rameaux. « Prince, lui dit Persée, si la splendeur d’une illustre naissance peut te toucher, Jupiter est mon père ; si tu as de l’admiration pour les grandes choses, tu pourras admirer celles que j’ai faites : je te demande l’hospitalité et le repos. » Atlas gardait le souvenir de ce vieil oracle que Thémis avait rendu sur le Parnasse : « Atlas, un jour viendra où tes arbres seront dépouillés de leur or, et c’est à un fils de Jupiter qu’est réservée la gloire de cette conquête. » Effrayé de cet oracle, Atlas avait enfermé ses jardins d’épaisses murailles, un dragon monstrueux veillait à la garde de leur enceinte, et l’accès de ses frontières était interdit à tous les étrangers : « Éloigne-toi, répondit-il ; la gloire de tes prétendus exploits, et Jupiter lui-même ne pourraient te sauver. » Il joint la violence aux menaces et veut chasser de son palais le héros qui hésite et mêle dans ses paroles la douceur à la fermeté. Trop faible pour résister (qui pourrait en effet égaler la force d’Atlas ?) : « Puisque tu fais si peu de cas de ma prière, dit-il, reçois ta