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les métamorphoses

il va couler aussi. » Alors il plonge dans son sein le fer dont il est armé, et, mourant, le retire aussitôt de sa blessure fumante. Il tombe renversé sur la terre, et son sang jaillit avec force. Ainsi le tube de plomb, quand il est fendu, lance en jets élevés l’eau qui s’échappe en sifflant par l’étroite ouverture, frappe les airs et s’y fraie un passage. Arrosés par cette pluie de sang, les fruits de l’arbre deviennent noirs, et sa racine ensanglantée donne la couleur de la pourpre à la mûre qui pend à ses rameaux.

Cependant Thisbé, tremblante encore, pour ne pas causer à son amant une attente trompeuse, revient et le cherche et des yeux et du cœur ; elle brûle de lui raconter les dangers qu’elle a évités. Elle reconnaît le lieu, elle reconnaît l’arbre ; mais le changement qu’il a subi et la nouvelle couleur de ses fruits, la jettent dans une profonde incertitude : tandis qu’elle hésite, elle voit un corps palpitant sur la terre ensanglantée ; elle recule plus pâle que le buis, et, saisie d’horreur, elle éprouve un frémissement semblable à celui de la mer, quand un léger souffle en ride la surface. Bientôt reconnaissant l’objet de son amour, elle fait retentir les airs des coups affreux qui meurtrissent son sein, arrache ses cheveux, presse dans ses bras les restes chéris de Pyrame, pleure sur sa blessure, mêle ses larmes avec son sang, et, tandis qu’elle imprime des baisers sur ce visage glacé : « Pyrame, s’écrie-t-elle, quel coup du sort te ravit à ma tendresse ? Cher Pyrame, réponds-moi : c’est ton amante, c’est Thisbé qui t’appelle ; entends sa voix et soulève ta tête attachée à la terre. » À ce nom de Thisbé, il rouvre ses yeux déjà chargés des ombres de la mort, et les referme après l’avoir vue. Elle reconnaît alors son voile, elle voit le fourreau d’ivoire vide de son épée : « C’est donc ton bras, dit-elle, c’est ton amour qui t’a donné la mort, infortuné ! Et moi aussi je trouverai dans mon bras le courage de t’imiter, dans mon amour la force de m’arracher aussi la vie. Je te suivrai dans la nuit du tombeau. On dira : l’infortunée fut la cause et la compagne de sa mort. Hélas ! le trépas seul pouvait te séparer de moi ; il ne le pourra plus. Ah ! du moins accueille cette prière, vous trop malheureux parents de Thisbé et de Pyrame : à ceux que l’amour le plus fidèle et l’heure suprême de la mort ont réunis, n’enviez pas le bonheur de reposer dans le même tombeau. Et toi, arbre dont les rameaux ne couvrent maintenant que les restes déplorables de Pyrame, et qui vas bientôt couvrir aussi les miens, porte à jamais les marques de notre trépas : puissent tes fruits, sombre emblème de deuil, être l’éternel témoignage d’un double et sanglant sacrifice ! » Elle dit, et se laisse tomber sur la pointe de l’épée qui traverse son cœur, toute fumante encore du sang de Pyrame. Les