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deux sortes de sciences : les sciences rationnelles, qui visent à construire des déterminismes logiques de propositions ; les sciences expérimentales, qui s’efforcent de découvrir les déterminismes des phénomènes naturels. Dans les sciences sociales la méthode rationnelle se justifie à côté de la méthode d’observation. « Les sciences physico-mathématiques, comme les sciences mathématiques proprement dites, sortent de l’expérience à qui elles ont emprunté leurs types. Elles abstraient de ces types réels des types idéaux, qu’elles définissent, et, sur la base de ces définitions, elles bâtissent a priori tout l’échafaudage de leurs théorèmes et de leurs démonstrations. Elles rentrent après cela dans l’expérience, non pour confirmer mais pour appliquer leurs conclusions. Les vérités pures obtenues par raisonnement seront-elles d’une application fréquente ? À la rigueur ce serait le droit du savant de faire de la science pour la science, comme n’est le droit du géomètre (et il en use tous les jours) d’étudier les propriétés les plus singulières de la figure la plus bizarre, si elles sont curieuses[1] ». Mais les cerveaux doués du don d’imagination créatrice pourront combiner ces vérités et construire ainsi des plans sociaux guidant l’action sociale.

Quant à la méthode statistique, elle a fait des progrès considérables en ces dernières années. Elle est devenue une méthode générale, développée et unifiée, grâce notamment aux travaux de l’Institut International de statistique, tandis que parallèlement s’accumulait une quantité immense de données numériques dues à des recensements, des dénombrements, des comptabilités spéciales, des comptages. Omnia in mensura ! La guerre aura fait faire des progrès sinon à la théorie et à la méthode statistiques, du moins à son emploi. Tous les gouvernements ont recouru aux dénombrements pour apprécier leurs ressources de toutes natures, hommes, armements, marchandises, cultures, réserves diverses. Ils ont cherché à s’appuyer aussi sur les chiffres pour mieux connaître leurs adversaires ou même les neutres qui auraient pu les aider. (Fonctionnement des trusts d’importation en Hollande et en Suisse.) L’idée d’un bilan national, familière jusqu’ici à certains économistes seulement s’est vulgarisée en même temps qu’elle se perfectionnait et affirmait son utilité. Celui-là qui aurait plus de ressources devait vaincre, alias, celui dont le bilan s’établit le plus favorable. Après la guerre cette idée du bilan national demeurera certainement et sera développée. Elle se combinera avec les exigences de l’organisation internationale qui aura besoin de donner aux divers pays une représentation mondiale proportionnelle à leur puissance réelle. C’est une véritable « sociométrie » qui devra s’édifier. Ses données comparatives devront se condenser en des

  1. Léon Walras, Éléments d’économie politique pure, page 32.