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qui consistent à trouver une machinerie pédagogique capable de former des hommes dont le cœur veuille la paix, une machinerie sociologique assez efficace pour contraindre les récalcitrants et empêcher leurs minorités mauvaises de faire la loi aux majorités ? Or tous ces problèmes se présentent à des sociétés pour qui les questions sociales étaient devenues depuis un demi siècle les préoccupations principales ; des sociétés que les progrès de l’instruction ont rendues de plus en plus conscientes ; que les discussions des parlements, les travaux des universités, les vœux des associations internationales, les propagandes des partis socialistes et des églises chrétiennes, les créations des capitaines d’industrie, ont préparé aux transformations importantes — comme les milieux du XVIIIe siècle y avaient été préparés par la Réforme, la Philosophie, les Encyclopédistes, les premières transformations industrielles. Ces problèmes aussi ne se posent pas à quelques esprits, à une élite dirigeante, ou pouvant le devenir ; ils sont placés devant tous les hommes. Chaque être humain sait maintenant d’expérience que son travail, son bien-être sont à la merci de l’instabilité internationale. Depuis vingt mois la presse de l’univers, avidement lue, donne de ces faits des commentaires précis, émouvants, documentés ; les loisirs des bras croisés, dans les tranchées et devant les usines qui chôment, en font le thème des réflexions, des conversations, des correspondances.

Dans tous les pays, dans toutes les sphères se poursuit le travail qui transforme les impressions en notions et résoud en formules générales les sensations tumultueuses et cahotiques du premier choc. En même temps, les mesures de guerre improvisées pour les combattants et les civils démontrent partout à quel point les forces sociales sont vraiment malléables, comment, quand on le veut, sous la pression des nécessités éminentes, on peut, du haut en bas, triturer et façonner la pâte sociale. Cette malléabilité des volontés, cette réceptivité des intelligences va pouvoir être mise à profit pour imposer les réformes profondes, car plus de la moitié de l’ouvrage est fait : la secousse qui devait disloquer l’état ancien.

L’époque moderne a connu trois grandes révolutions : celle d’Angleterre, celle d’Amérique, celle de France. Elles ont été déterminées, toutes trois, dans le sens de l’émancipation. Celle de 1789, « grande Cordillière qui sépare non pas deux pays, mais deux mondes », s’est différenciée des deux autres par son expression universaliste. La Révolution que les peuples attendent maintenant est celle qui n’enchaînera plus le sort des uns à l’état politique rétrograde des autres et qui consacrera les principes d’un minimum de civilisation universelle. Elle marquera la transition entre une civilisation militaire, autocratique, encore imbue de féodalité, et une civilisation basée sur l’industrialisme, la démocratie, la science, la paix. À la contrainte, l’hégé-