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la grève générale, après la réalité de l’arrêt de toute vie économique dont la guerre aura fourni le spectacle ; le principe anti-monarchique, quand on a vu des socialistes se rendre chez les souverains, accepter d’eux des missions, collaborer étroitement avec eux ; la socialisation, quand on a cru reconnaître dans le fond du collectivisme autre chose que le système impérialiste de l’État lui-même poussé à l’extrême.

Des polémiques de presse ont été pleines d’indications intéressantes et il semble que chez maints socialistes une évolution même doctrinale se soit produite. Ainsi, les Français et les Anglais ont dénoncé l’influence des conceptions trop matérialistes de Marx sur le socialisme. « Marx, disent-ils, est entré dans l’Internationale alors qu’elle était déjà formée ; il l’a organisée d’après ses idées ; il était pangermaniste ; il désirait des masses ouvrières révolutionnaires dans tous les pays, mais ralliées au gouvernement en Allemagne[1]. » Et en Allemagne des hommes comme Bernstein en sont venus à se demander si l’internationalisme n’est pas un danger pour le socialisme.

Mais si la guerre a jeté le désarroi chez les partis socialistes nationaux elle aura fait faire un pas considérable à l’idée socialiste elle-même. Toute la guerre est une sorte d’aventure militaire socialiste, faisant application des principes du plus pur collectivisme, non seulement dans la conduite des armées, la fabrication des armements et des munitions, l’approvisionnement, mais dans l’organisation économique même des pays au cours de la guerre. Dans presque tous les pays belligérants et ailleurs, les principes socialistes l’ont emporté sur les principes capitalistes. « Aucune réglementation dans le monde entier, disent par exemple les socialistes allemands, n’a aussi brillamment fait ses preuves que notre système de répartition du pain. » L’alimentation collective de la Belgique est un autre exemple. Une immense vague de solidarité, charité ou altruisme s’est aussi étendue sur tous les pays belligérants, créant des œuvres d’assistance, de secours, de toute espèce, développant le sentiment de l’entr’aide et la connaissance mutuelle des misères humaines. D’autre part, quelles réflexions auront faites dans les tranchées les millions d’hommes qui s’y battent maintenant et quelle action de transformation plus tard que leurs pensées ? Il y a lieu de croire que ce n’est pas précisément bénir l’organisation actuelle de la société bourgeoise qu’ils y font. Il ne faudrait pas oublier qu’il y a eu guerre sociale avant la guerre internationale, et que celle-là avait mis déjà sur pied des forces considérables. Qu’on se rappelle les grèves générales et les lockhouts des années 1910-1914, notamment en Angleterre, en Italie, en Suisse, en

  1. James Guillaume, Karl Marx pangermaniste. L’association internationale des travailleurs de 1864 à 1870 (1915). — Albert Gouillé, Cessons la lutte des classes. — Sur la théorie de la Sozialdemoktratie allemande, voir les ouvrages de Kautsky et Bernstein.