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devient de plus en plus « aristocratique »[1]. Pour Treitschke, dans les grands États, les larges perspectives qui y sont ouvertes aux individus y développent un « sens mondial » (Weltsinn). On ne peut plus se laisser enfermer dans des limites trop resserrées ; on a besoin d’espace. La domination de la mer agit surtout en ce sens. « La mer libère l’esprit. Le petit État au contraire rapetisse tout à sa mesure. Il développe une mentalité de gueux (eine bettelhafte Gesinnung). On n’apprend à n’y estimer l’État que d’après les impôts qu’il lève. De là résulte un matérialisme qui a sur le sentiment des citoyens la plus déplorable influence[2]. »

B. Pro. — À la vérité, les petits États dressent leurs affirmations à l’encontre de celles-là ; les sociologues sont avec eux et leur cause est devenue celle des alliés et des neutres. Les petits États (Hollande, Belgique, Suisse, États Scandinaves), non seulement n’ont jamais causé de dommages à leurs voisins, mais ils ont prouvé que malgré leur exiguité ils étaient capables de servir les intérêts les plus élevés de l’humanité. Ils ont contribué à former cette civilisation qui unit petits et grands États par des liens plus sacrés et plus durables que les liens de race, de force politique et d’intérêt matériel. En particulier la Suisse, la Belgique et la Hollande ont au cours du XIXe siècle développé les premières organisations internationales, qui demeureront pour l’histoire impartiale une des plus pures gloires humaines de notre temps. Les petits États ont une civilisation complète. En face des grands États ils peuvent être emplis de crainte, peut-être, mais non d’envie ; la soi-disant « grandeur » de ces États ne leur en impose nullement. Ils font valoir qu’ils constituent des exemples et des modèles pour les grands États. La Belgique depuis son indépendance (1830) n’a connu aucune révolution. La Suisse, depuis la guerre du Sonderbund (1846), a atteint les extrêmes limites de la liberté et du droit et n’a vu ses lois violées ni par des soulèvements militaires, ni par de tumultueuses multitudes. De même la Hollande, la Suède, le Danemark, la Norvège. Il n’y a aucun rapport entre l’étendue d’un pays et en particulier de son domaine colonial et la prospérité de ce pays. Les plus hauts chiffres d’importation et d’exportation par habitant sont fournis par la Hollande, que suivent la Belgique, la Suisse et le Danemark. Les grands États ne viennent qu’après ces pays. Avant la guerre, tandis que le 3 % allemand était coté à 83, le 3 % belge atteignait 96 ; tandis que le 3 ½ % russe valait 81, le 3 ½ %

  1. Treitschke, Politik, I, page 43.
  2. Les petits États sont objets permanents de convoitise. En 1867, Napoléon III, qui aurait voulu recevoir de la Prusse la Belgique ou tout au moins le Luxembourg, ne parlait plus de nationalité, mais faisait exposer officiellement par un ministre une théorie sur la tendance naturelle des peuples à se former en de « grandes agglomérations, théorie menaçante pour l’existence des petits États. (Seignobos).