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Lorsqu’il s’est agi de la manière de désigner les juges de la Commission des prises, des propositions furent faites tendant à donner, à huit grandes puissances seulement, le droit à la nomination d’un juge, les autres puissances étant placées sous un régime différent. Dans le projet d’organisation de la Cour Permanente d’Arbitrage, les grandes puissances aussi devaient être avantagées. Les petits États, ayant à leur tête les républiques de l’Amérique latine, firent une opposition irréductible à ces deux projets.

3. Les petits États. Dans la guerre actuelle se joue le sort des petits États. La Belgique, la Serbie, le Monténégro ne sont plus libres et au début des hostilités la diplomatie allemande proclamait que « la Belgique ne servirait de rien à l’Allemagne si elle n’avait pas la Hollande ».

Déjà, par la force des choses, en dehors même de son intention d’invasion et d’annexion, l’Allemagne était pour la Suisse, la Belgique et les Scandinaves une menace économique et intellectuelle ; il était à craindre qu’elle ne les réduisît peu à peu à l’état de « province » par la seule action mécanique de sa masse et de son extension. Il faut exposer le pour et le contre de l’existence des petits États.

A. Contra. – « Cette guerre disent les Austro-Allemands, a démontré que l’avenir de l’Europe et du monde appartient aux États puissants possédant une nombreuse population et de grandes richesses. Renoncer à appartenir à un grand État, c’est renoncer à toute possibilité intellectuelle et économique, que seul il procure ; c’est renoncer à faire entendre sa voix dans le concert mondial. » Le ministre des affaires étrangères, von Jagow, s’est exprimé très nettement peu avant la guerre : « Les petits États ne pourront plus jouir, dans la transformation qui s’opère en Europe au profit des nationalités les plus fortes, de l’existence indépendante qu’on leur a laissé mener jusqu’à présent ; ils sont destinés à disparaître ou à grandir dans l’orbite des grandes puissances[1]. »

On ajoute que si les petits États sont des tampons, c’est que l’entente ne s’est pas faite sur leur partage. Ils demeurent des « brandons de discorde ». « Une domination autrichienne en Serbie était évidemment aussi intolérable pour la Russie que pour l’Angleterre une domination allemande aux Pays-Bas. » (Réflexion de l’ambassadeur d’Angleterre en Russie, 1er août 1914.) – Tout cela est conforme à la théorie politique allemande. Treitschke traite avec mépris les petits États : la « Kleinstaaterei ». « Dans la notion des petits États, dit-il, il y a quelque chose qui prête incontestablement au sourire. En soi, la faiblesse n’a rien de ridicule, mais il en va tout autrement de la faiblesse qui affecte les allures de la force. La société des États

  1. Von Jagow, Rapporté par le baron Beyens ; « Revue des Deux Mondes », 15 mars 1916, page 264.