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nature (techniques, industriels, commerciaux, financiers, politiques) de grandes sources de richesse ont pu aussi être créées artificiellement. Ainsi, par exemple, après des années, des créations humaines telles qu’une ville (Rome, Paris, Londres, New-York, etc.), un port (Hambourg, Marseille, Trieste), un canal (Panama, Kiel), un chemin de fer (Gothard, Transsibérien, Canadian Pacific) sont devenus des richesses susceptibles d’éveiller des convoitises au même titre que des richesses naturelles. À l’origine ces points ressemblaient à tous les points similaires. Mais au cours du temps, et à la faveur d’heureuses conjectures, leur possession constitue de véritables monopoles de fait. Pourrait-on pratiquement reconstituer une Rome, refaire un Hambourg ou un Panama, dédoubler un Gothard ? Puisqu’il faut répondre non, le problème international se pose ici aussi. Ces points acquièrent une valeur qui dépasse les limites d’une seule organisation nationale, soit que l’effort de tous ait contribué à les créer ou à les maintenir, soit que tous en subissent une profonde et inéluctable influence. S’il en est ainsi, eut-il été admissible que Panama ou Suez fussent livrés à l’usage arbitraire et égoïste, l’un des États-Unis, l’autre de l’Angleterre, et l’internationalisation n’a-t-elle pas été, ici, la seule solution possible ? Pour les ports, le conflit est né récemment. Les Italiens, les seuls Italiens de la génération présente, peuvent-ils être considérés comme les « propriétaires » de Rome avec jus uti et abutendi ? Rome est la patrie intellectuelle de tous ceux qui possèdent la culture des « Humanités » ; leur protestation serait prête à s’élever si une main sacrilège se portait sur l’intangibilité de la ville éternelle. Le mouvement international pour la protection des œuvres d’art en Italie et en Grèce, les campagnes qui s’indiquèrent dans plusieurs pays pour la protection des grands musées menacés, sont autant d’indices de l’état de la conscience universelle. Il y a des patrimoines intellectuels et collectifs, dont certaines populations sont en quelque sorte des fidéi commissaires. De même les points qui sont comme les carrefours ou les nœuds de la vie mondiale de production, de circulation et d’échange commencent à constituer des patrimoines similaires.

4. Droit aux territoires en friche. Peu à peu s’est donc formée cette idée, doublée d’un sentiment juridique, que l’humanité est en droit d’attendre de tout peuple qu’il tire de son sol tout le profit normal possible selon les méthodes scientifiques et techniques ; que s’il ne le fait pas par ignorance ou inertie, il prive d’autres peuples qui en ont besoin et pourraient le faire ; partant, il crée pour ces peuples des droits virtuels sur ces territoires en friche. Cette théorie a servi de justification d’abord à la colonisation ; aujourd’hui on l’étend à tous les pays. Les peuples n’auraient donc plus de droits de propriété absolue sur leurs territoires ; ils en seraient seulement des sortes d’usufruitiers, responsables de la fructification devant l’humanité. Il