Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montre le déclin progressif de la guerre. Le champ de la sociabilité humaine s’étend et l’industrie, le travail, l’échange, grandissent comme modes essentiels de l’activité des peuples, et cela aux dépens de l’activité militaire qui décroît. La guerre d’ailleurs n’est plus que le fait des États et non des groupes qui le composent, encore moins des individus.

Dans le passé l’ordre juridique progresse parallèlement à la culture intellectuelle et à la coopération économique. Il passe d’un état où la procédure alterne avec la violence à un état de droit rudimentaire où sous l’égide de croyances religieuses, prévaut un mélange de règles civiles et de règles pénales. Ensuite le Droit pénal, le Droit civil et la procédure se différencient tout en devenant chacun homogène dans des cercles sociaux de plus en plus étendus. Puis on entre dans un âge nouveau, où le Droit constitutionnel vient pacifier les rapports des partis, des sectes religieuses, des classes. C’est un nouveau recul de la violence. Avec l’ère des discussions politiques au sein d’assemblées représentatives prend fin le régime des secrets d’État, si indispensables au succès de la politique guerrière.

L’inauguration de la discussion publique des questions de politique internationale rend inévitable un nouveau progrès du droit, celui qui doit doter la société des nations de la procédure et du droit public qui la pacifieront à son tour [1].

Telle est l’induction tirée du passé. On lui adresse la critique qu’elle schématise à l’excès l’histoire du droit et que la société des nations, qui en est encore à la phase d’incohérence économique (coopération économique internationale intermittente, précaire, partielle), devra passer elle-même par toutes les phases très longues par où a passé la société nationale. Cette critique ne tient pas compte de la loi d’accélération qui agit dans l’évolution sociale, comme dans l’ontogénie des êtres vivants. Les études de sociologie juridique au contraire nous autorisent à concevoir une transformation rapide des rapports internationaux, analogue à celle qui, au début de l’histoire des cités helléniques, a modifié les rapports des gentes, puis ceux des cités qui a fait apparaître les grands États nationaux ; qui plus tard encore a modifié les rapports des sectes et des factions et fait surgir le droit constitutionnel moderne. « À la vérité la force physique n’est qu’un facteur des choses humaines, des choses sociales. Une place doit lui être faite dans l’organisation des sociétés ; conséquemment dans celle de la société des nations. Maintenue à cette place la force physique devient une cause d’ordre, de progrès, de bonheur ; livrée à son arbitraire, non équilibrée par d’autres forces, elle conduit aujourd’hui à la destruction, au malheur, à la souffrance[2]. »

  1. G. Renard, Revue philosophique, novembre 1915.
  2. Edgar Milhaud, Du droit de la force à la force du droit, 1915.