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sciences sociales a institué une section intitulée : « Droit pénal et Moralité publique[1] ».

4. Notre époque est à la fois l’une des plus morales et l’une des plus critiques. Elle fait preuve de délicatesse, de sentiment de l’honneur, d’altruisme. D’autre part elle témoigne d’une véritable amoralité dans l’amour, les affaires, la politique, les relations entre les États.

C’est un lieu commun de constater que notre époque a paru marquer le pas sur la route du progrès moral. Alors que jamais la science humaine n’a donné tant de réalisations, jamais l’activité individuelle n’a tant contribué au bien-être général, jamais les penseurs n’ont offert à l’humanité tant de conceptions plus généreuses et plus humaines, — ce développement n’a pas coïncidé avec un progrès comparable dans les esprits et dans les cœurs.

274. La Moralité et la Guerre.


La guerre agit puissamment sur les facteurs de moralité et d’immoralité. Par les réactions qu’elle impose elle permet aussi de juger de leur force respective de résistance.

1. La guerre a provoqué une immense diminution de la moralité dans le monde. Moralité publique : déchaînement de la guerre ; violation des conventions internationales, sans aucune protestation des puissances neutres, frappées de peur ou d’indifférence et laissant tomber dans le néant les actes de la Haye, auxquels elles étaient partie. Moralité privée : Libération des purs instincts, violences, mensonges, cruautés, vols, viols. Il y a tout ce que l’on sait ; mais en outre, en bas, les millions d’actes odieux, inconnus ou étouffés ; en haut, les compromissions politiques, les trahisons, les faiblesses, les corruptions ! Comment la moralité, fruit tardif des civilisations pourrait-elle être renforcée quand s’écroule tout à coup, l’appareil qui la soutient et qui a péniblement été édifié en temps de paix. La guerre est comparable à la paralysie générale dans le corps humain. Là aussi, c’est la moralité dernière acquisition, un vernis, qui la première disparaît. Si nous devions entrer dans une période de guerre il est bien des vertus lentement acquises qui devraient disparaître. La loyauté, la droiture, l’humanité, le respect de la parole et des traités, c’est-à-dire toutes les formes de l’honneur, deviendraient des sources de faiblesse dans une lutte contre les peuples qui ne les respectent pas.

2. En regard de ce passif du bilan il y a bien un actif : l’héroïsme et le dévouement que fait naître la guerre. Ils sont certes admirables et jamais les sentiments de fraternité entre nationaux et de sacrifice à la patrie n’ont été plus grands et plus généraux. Mais ces sentiments sont faits de haine autant que de pitié. C’est la solidarité contre quel-

  1. Dr J. Maxwell, Le crime et la société. — H. Lecky, Histoire de la morale en Europe.