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peine, de souffrance. Car il y a des heures qu’il sait bonnes à vivre, meilleures que le néant ou l’acte qui y conduit ; des heures que, par son effort et celui de tous ses semblables, il a la conviction, ou l’espoir, de pouvoir rendre plus fréquentes et plus longues. Simultanément se développe le sentiment de la dignité humaine. — Notre morale ainsi prend un point d’appui dans notre for intérieur. Nous sommes moraux pour nous, parce que nous nous voulons ainsi, plus forts et plus vrais et plus beaux ; que nous ne saurions nous souffrir faibles, faux et laids. N’étant ni cruels, ni mauvais pour les animaux, ce n’est pas parce qu'ils ont des droits moraux sur nous, ni parce qu’ils sont utiles : c’est parce que le spectacle de notre propre cruauté nous dégoûte. — Voilà de quoi est fait le fondement de la vie d’un nombre croissant d’hommes dégagés des croyances religieuses et des philosophies traditionnelles. Les autres acceptent la même règle pratique pour les mêmes motifs mais y ajoutent les leurs propres. Une base positive existe donc pour la morale, une base générale et démontrable, une base minimum qui n’est en contradiction avec celle d’aucun des systèmes métaphysiques et religieux, bien qu’elle ne fasse pas de ces dernières des postulats.

6. La finalité humaine étant la base de notre morale celle-ci repose en réalité sur la solidarité entre tous nos actes. Elle consiste à voir notre intérêt sans doute, mais pas exclusivement notre intérêt en ce moment et ici. C’est placer notre acte présent dans la série de tous les actes successifs de notre vie, afin de ne faire tort ni à ceux du passé, ni à ceux de l’avenir. C’est sacrifier aujourd’hui, pour obtenir un avantage plus grand demain ; c’est se sacrifier soi-même aux autres cette fois-ci, pour avoir leur sacrifice à eux une autre fois. Est donc moral un être capable d’ambition et de sacrifices pour réaliser son idéal moral et celui-ci est le plan qu’il se forme de sa vie. Suivant que s’élargit la sphère d’action de l’homme, s’élargissent aussi ses plans de vie, les buts qu’il peut se proposer et, corrélativement, les sphères de la solidarité, donc de la morale. C’est la même ascension que dans tous les autres domaines humains : de l’individu à la famille, au groupe, à la cité, à l’état, à la communauté humaine tout entière.

7. Une conclusion générale s’impose : la loi morale trouvant son fondement à la fois dans les lois de la nature physique et dans les mobiles rationnels de l’intelligence humaine, c’est l’intelligence humaine qui, dans les limites des possibilités naturelles, doit élaborer le plan d’organisation de la vie des individus et des nations. Ce plan doit être proposé à la libre acceptation, ensuite de quoi les mesures nécessaires pour sa réalisation doivent devenir les règles impératives de la conduite commune. Bien que purement conventionnelles celles-ci revêtiront à leur tour le caractère d’une nécessité naturelle : nécessité d’avoir une règle, sous peine de ne pouvoir coexister, nécessité que la règle