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de la presse. Cette puissance a grandi d’abord dans la liberté ; puis est venue la phase du monopole de fait, obtenu par les tout grands journaux grâce à l’écrasement des concurrents faibles ; les trusts de journaux ont achevé la concentration. Aujourd’hui la presse qui a une action véritable est, dans tous les pays, aux mains d’une très petite poignée d’hommes. Les journaux sont de puissants meneurs parce qu’ils manient à leur aise les véritables facteurs affectifs de l’opinion des foules : l’affirmation, la répétition, la suggestion et le prestige (G. Lebon). Il s’en suit deux conséquences : la presse fait souvent beaucoup de mal, elle ne fait pas tout le bien qu’elle pourrait faire. Le mal résulte des campagnes intéressées, à l’aide de moyens sensationnels. En matière internationale ce mal résulte de la facilité avec laquelle les actes et les intentions des autres peuples sont présentés au public.

Le mécanisme de la presse moderne explique l’enchaînement des causes : 1° Une presse à bon marché et sans scrupules (presse jaune) se déverse sur la population dont elle est presque la seule lecture. Elle ne vise qu’aux gros tirages, non point pour la diffusion de ses idées — elle n’en a point, — mais pour faire payer sa publicité et sa réclame, pour faire payer aussi ses attaques ou ses silences intéressés à l’occasion de gros intérêts particuliers. Cette presse est donc uniquement soucieuse de flatter les passions populaires et les préjugés. 2° Le peuple égaré par cette presse laisse libre cours aux passions les plus grossières auxquelles elle fait appel. 3° Les souverains ensuite répondent aux sentiments de la nation, qu’ils soient déviés eux-mêmes ou cherchent à maintenir leur trône.

On a pu voir pendant la guerre la facilité avec laquelle la presse de tous pays a été prête à trouver aux peuples toutes les qualités et tous les défauts suivant qu’ils allaient marcher avec ou contre leur pays ! Ceci démontre tout ce qu’a d’artificiel beaucoup de soi-disant mouvements antinationaux.

Voici un exemple typique : M. Harmsworth, devenu aujourd’hui Lord Northcliffe, éditeur du Daily-Mail, du Daily Mirror, du Daily Graffic, du Daily Express, de l’Ewening news, du Weekly Dispatch et plus tard du Times, publiait ceci en 1899, dans le but de boycotter l’exposition de Paris : « Les Français ont réussi à persuader John Bull qu’ils sont ses ennemis acharnés. L’Angleterre a longtemps hésité entre la France et l’Allemagne, mais elle a toujours respecté le caractère allemand, tandis qu’elle en est arrivée à avoir du mépris pour la France. Une entente cordiale ne peut subsister entre l’Angleterre et sa plus proche voisine. En voilà assez de la France, qui n’a ni courage, ni sens politique. » En 1907, dans une interview du Matin, le même Harmsworth s’écrie : « Oui, oui, nous détestons les Allemands et cordialement. Ils se rendent odieux à toute l’Europe. Je ne permettrais