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la naturelle variété et indépendance nécessaire à tous les génies nationaux[1]. »

263.7. SCIENCE ET GUERRE. — La guerre a été conduite comme une guerre scientifique, une guerre de machines, toutes construites d’après des principes et des procédés scientifiques, toutes mises en fonctionnement d’après les mêmes principes. Il y a peut-on dire unité internationale d’outillage de guerre. Ces applications scientifiques ont été poussées si loin et si en dehors de l’idéal du bien être humain que tout savant porte au fond de son cœur, qu’elles ont suscité cette appréciation du président Poincaré : « La science, déshonorée au service de la violence, de la sauvagerie ». Dans leur enthousiasme guerrier d’aucuns ont célébré la formule : « la guerre creuset d’idée », en disant que la guerre poussait aux découvertes et à la création scientifique. À la vérité, après 20 mois de guerre, ce qui a été découvert de neuf paraît peu important sur n’importe quel front. Des détails se sont perfectionnés, comme dans la balistique, la chimie, l’aviation, mais l’on n’a vu surgir aucune grande découverte originale et sensationnelle.

Les gouvernements pendant la guerre ont mobilisé le service de la science et une collaboration a été établie entre elle et l’armée. En France des comités scientifiques officiels pour les inventions ont été constitués au Ministère de l’instruction publique en liaison avec le Ministère de la guerre et l’Académie des sciences. En Angleterre un comité de recherches scientifiques a été créé aussi dans le but d’aider à la lutte économique contre l’Allemagne. Il s’agit de conserver aux Anglais le bénéfice de leurs inventions et de leurs applications à l’industrie. Un groupe de savants italiens et de membres de la société royale de Londres ont offert de collaborer avec ceux de l’Académie des sciences.

Triste constatation dans tous les pays, la guerre a fauché masse de jeunes savants et d’étudiants, perte d’un capital qui aurait permis à la longue de reconstituer tous les autres. Les universités, les écoles supérieures, les instituts, ont fourni partout aux armées des contingents plus que proportionnels. Les élèves de l’École Normale de Paris partis deux cents restent quinze[2]. Le demain de la science s’en ressentira. Ce sera pour un long temps, sinon tarie, du moins largement épuisée la source de la production scientifique. Mais surtout, ce qui pourrait porter un coup dans ses œuvres vives, c’est l’orientation des luttes entre savants qui serait la suite de la guerre. Déjà les Académies et les sociétés scientifiques des pays belligérants ont procédé respectivement à la radiation d’un grand nombre de membres étran-

  1. « Université française », 3 novembre 1914.
  2. Il s’est constitué une œuvre universitaire suisse des étudiants prisonniers de guerre ; elle s’efforce d’aider les jeunes gens à continuer leurs études.