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rigoureuses et précises sur le côté matériel des langues. Elle a cherché ensuite à découvrir dans les changements du langage l’effort de l’esprit humain pour s’exprimer d’une manière de plus en plus claire et de plus en plus aisée et à reconnaître dans le vocabulaire, et même dans la grammaire, l’action de la civilisation. La langue, au lieu d’être une sorte d’être vivant autonome, conception par trop mystique, est envisagée maintenant comme un produit de l’activité et en quelque mesure de la volonté humaine, et aussi de la vie en société. La linguistique, ainsi, est apparue comme l’une des sciences sociales aussi bien que comme une science philologique[1].

Pendant longtemps on s’est préoccupé de découvrir la langue primitive, la langue-mère dont toutes les langues actuelles ne seraient que des modifications. La science moderne a renoncé à cette prétention. D’abord il est possible que le langage se soit développé dans plusieurs centres indépendants ; ensuite les monuments que nous possédons sont de date relativement trop récente pour fournir une base solide à l’induction préhistorique. À peine pouvons-nous restituer les traits généraux de la langue-mère indo-européenne. Quelques linguistes admettent une parenté entre la famille indo-européenne et la famille sémitique par l’intermédiaire de l’égyptien. D’autres essayent même de rattacher le groupe ouralo-altaïque à l’indo-européen. Ce sont là des hypothèses hasardeuses.

261.2. LIBERTÉ DES LANGUES, LANGUE OFFICIELLE. — Les conflits des langues déchirent presque tous les États formés de plusieurs nationalités, c’est la lutte pour imposer et faire triompher la langue. Les plus forts empêchent les plus faibles de se servir de leur langue pour leurs écoles et universités, pour leurs journaux, leurs bibliothèques ; voire même de parler leur langue entre eux (exemple : les Allemands en Alsace-Lorraine et en Pologne, les Russes en Pologne et en Ukraine, etc.). Pendant la guerre l’oppression des langues s’est encore accrue. Ainsi la guerre au français en Alsace-Lorraine[2]. La liberté absolue des langues est une des réformes internationales les plus importantes. Elle devrait être solennellement proclamée. Aux États-Unis toutes les races se servent de l’anglais, mais peuvent volontairement conserver les idiomes nationaux. En Suisse les trois langues vivent sur un pied de parfaite égalité. La liberté a là deux admirables exemples à invoquer. Mais parallèlement à la question de la liberté des langues il y a à résoudre celle de la langue officielle. Voici à ce

  1. Michel Bréal, La Sémantique. — Albert Dauzat, La philosophie du langage. — Abel Hovelacque, La Linguistique, Paris, Schleider, 4me édition, 1888. — Fr. Müller, Précis de linguistique, Vienne 1876-1888. — Steinthal Misteli, Caractéristiques des principaux types des langues, 2me édition, Berlin, 1893.
  2. Il est intéressant de signaler que l’Almanach de Gotha a continué à paraître en français pendant la guerre (édition 1915).