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était devenu incapable d’enthousiasmer la créature humaine et de la rendre heureuse. Il fallait le réveil de l’esprit éteint de l’antiquité pour que dans cet embrasement l’amour du prochain reprit la chaleur de la vie et devint l’amour de l’humanité, c’est-à-dire l’humanisme : admiration et amour pour l’homme, pour ses facultés presque illimitées, pour ses créations étonnantes : amour en même temps pour tout ce qui peut rendre parfaitement heureuse, au plus noble sens du terme, la vie terrestre de l’individu[1]. »

L’humanisme fut l’équivalent de la croyance à l’unité de la civilisation humaine, la foi que les lois éternelles de la nature et du destin humain, les créations les plus sublimes de l’esprit humain, dans tous les siècles survivent et renaissent avec chaque génération. La Renaissance produisit des hommes universels, tels que Pic de la Mirandole, Alberti, Léonard de Vinci, Michel-Ange ; son esprit envahit la cour des papes, comme les universités fondées par les hérétiques ; elle créa un lien entre les savants, les écrivains de tous les pays. « De même, dit Savonarole, que Colomb est parti pour trouver une voie vers les Indes et a découvert ainsi un nouveau monde, de même les humanistes du XVe siècle ont été les véritables fondateurs de la civilisation moderne par leur zèle à faire connaître le monde antique. » Les humanistes de la Renaissance ont servi d’intermédiaires en Europe à la culture classique, comme autrefois les Romains l’avaient été pour la culture grecque. L’humanisme naît en Italie, à Florence, et de là se dirige vers Rome et Venise (Plutarque, Boccace, Cosme et Laurent de Médicis, les Alde). De là il se répand dans toute l’Europe occidentale, dès la fin du XVe siècle en Hollande par Agricola et plus tard par Érasme, en Allemagne par Reuschlin, en France par Lascaris et Budé et par le Collège de France (1530).

Cependant l’humanisme ainsi défini n’a pas arrêté son influence au XIe siècle. Il a créé un système d’enseignement connu, fondé sur l’idéal humain, et qui jusqu’à la moitié du siècle dernier a été l’unique moyen de formation intellectuelle chez tous les peuples civilisés (les humanités latine et grecque, l’humanisme des Universités et des Jésuites). Dira-t-on jamais assez ce que cet enseignement a été pour la constante unification des esprits se reconnaissant tous, librement et sans jalouse rivalité possible, une commune patrie intellectuelle, un commun patrimoine qu’aucune nation, aucun pays ne pouvait prétendre être seul à comprendre, dont ni les guerres, ni les révolutions politiques ne pouvaient détruire la puissance, le charme et la valeur. Mais l’enseignement des humanités, tombé aux mains de traditionalistes étroits qui ne surent distinguer entre le fond et la forme, eut à subir de violentes attaques. Les unes, fondées sur les

  1. Albert de Berzeviczy, L’esprit de l’Humanisme. Revue politique internationale. Juillet-août 1915, page 30.