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et intellectuelle, mais encore vivre sur lui-même et pour lui-même[1]. De cette théorie il faut distinguer cependant le « nationalisme », qui vise à la reconstitution des nationalités opprimées ou au maintien des nationalités existantes, et qui, par conséquent, lutte contre d’autres nationalismes.

Le principe d’isolement, du chacun chez soi, n’est pas une solution pour les peuples modernes. Ce n’est qu’une transition entre l’état de paix et l’état de guerre. À supposer qu’on puisse faire d’une frontière une barrière, l’isolement économique ou politique ne peut être durable dans les conditions actuelles d’existence des États. Il supposerait pour se prolonger qu’un État isolé fût en mesure de se suffire à lui-même, qu’il n’eût aucun besoin des autres, que les autres n’eussent rien à attendre, rien à convoiter de lui. Il faudrait à tout le moins que son indépendance fût pleinement assurée, parce que nul ne serait tenté d’y porter atteinte, parce que nul ne serait assez puissant pour l’entamer. Ce sont là des conditions absolument chimériques[2]. Le principe d’isolement, à la vérité, c’est la mort lente pour les peuples tout comme pour les individus. Poussé jusqu’à ces dernières conséquences, le système implique que le commerce, l’industrie, la politique, les sciences, les arts, toute la vie individuelle et sociale, demeurent strictement cantonnés à l’intérieur des frontières. Pas de produits étrangers, pas de marchandises envoyées au dehors, pas de personnes d’autres nationalités venant résider dans un pays. Mais aussi, par réciprocité, pas de voyages, pas de séjours des nationaux au dehors ; pas d’idées, pas de littérature, pas d’œuvres tolérées qui ne soient strictement dues aux citoyens de la nation. Certes, l’instauration d’un tel système marquerait une régression de plusieurs siècles en arrière, car il équivaudrait à l’anéantissement volontaire des avantages de l’échange dans tous les domaines. Il faut donc observer sans parti pris le spectacle du monde et accepter franchement la leçon des faits : « Pas plus qu’aux individus il n’est sain aux groupes nationaux de vivre solitaires, de s’enfermer dans quelque grande muraille chinoise, contre les influences ou les suggestions du dehors. À tout « être vivant il est bon de se connaître, et pour se connaître, de se comparer[3] ».

237.2. L’INTERNATIONALISME. — 1. Notions. — L’internationalisme des intérêts, des efforts et des structures n’est que le prolongement du vaste mouvement qui a créé antérieurement dans l’histoire la régionalisation et la nationalisation. Entre les patries nationales, qui doivent survivre comme les États survivent dans une

  1. Maurice Barrès, L’âme française et la guerre. (L’union sacrée. Les saints de la France).
  2. Funck Brentano, Le tarif douanier et les traités de commerce.
  3. E. Seillière.