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deur de la patrie, cela revient pour chacun de nous à vouloir sa « propre grandeur[1]. » Mais il est de la patrie deux espèces de sentiments qu’il importe avec soin de distinguer l’un de l’autre. Le premier exalte un patriotisme sain, le second confond patriotisme et chauvinisme. L’un est fait de l’amour du pays natal, le second de la haine de l’étranger.

La patrie suppose le souvenir du passé dans ses gloires et dans ses détresses, la représentation de la solidarité présente des intérêts : une tendance commune vers la réalisation d’un certain idéal, l’accord des volontés dans l’effort libre. Entre le patriotisme et l’amour de l’humanité, il n’y a pas d’opposition. Le premier est la condition du second. Notre patrie est le champ d’action de notre activité morale. C’est en elle que nous avons une influence sur les lois, sur les mœurs, et que nous remplissons une fonction sociale ; c’est en elle que nous devons essayer de réaliser notre idéal moral. À mesure que le patriotisme se développe et s’approfondit nous prenons une conscience plus haute de la personnalité morale de notre patrie et des caractères respectables de la patrie des autres. Nous concevons l’obligation de traiter les nations comme les personnes, de respecter leurs droits en même temps que nous exigeons le respect des nôtres[2].

3. La doctrine du nationalisme. — Un grand nombre des causes qui agissent sur l’internationalisme moderne agissent aussi sur l’achèvement de la nation. Les États sont de plus en plus unifiés à l’intérieur par les lois, l’administration, l’éducation, les transports, les douanes, les voyages, la presse, le gouvernement agissant à l’égard de l’étranger, le parlement interprétant la volonté nationale. Il s’aide aussi parfois vis-à-vis des autres États d’un ensemble d’institutions anti-internationales : prises, droits d’aubaines, représailles ou droits accordé par un État à ses nationaux de ne pas payer les dettes qu’ils ont contractées envers les habitants d’un autre État, quand quelques-uns de ceux-ci sont des débiteurs insolvables des citoyens du premier, etc. Enfin la guerre, celle-ci surtout, accentue l’unité nationale en créant l’union sacrée, la trève des partis, la paix civique. Le « nationalisme » s’est érigé en doctrine consciente et définie à partir du moment où s’est formulée la doctrine de l’internationalisme. Ce nationalisme considère comme mauvaise toute doctrine dont le fondement n’est pas la tradition nationale et préconise l’isolement dans tout autre domaine que la défense militaire. Pour lui chaque État est comme un système clos, devant non seulement vivre d’une indépendance politique, économique

  1. Définition donnée par le Temps, 7 mars 1915.
  2. Du Bled, Victor, L’idée de patrie à travers les âges. Revue des Deux Mondes, 15 juillet 1915. — Paul Pilant, Le patriotisme en France et à l’étranger, 1912 — Jean Jaurès, Patriotisme et internationalisme, 1895. — A. Hamon, Patria e internationalismo, estudio filosofico, 1906.