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d’organes pour chacune de ses fonctions. Dans les sociétés, toute organisation implique un but, des éléments constitutifs, une structure, des fonctions, l’exercice d’une activité et conséquemment une vie et des résultats ; elle implique aussi des personnes disciplinées qui obéissent à une volonté travaillant à la réalisation du but collectif. L’organisation s’oppose au désordre, au chaos, à l’anarchie.

2. Organisation et machinisme. — Dans notre civilisation, l’organisation implique l’emploi croissant des machines. Ce qui distingue avant tout l’européen du sauvage, c’est le nombre prodigieux de machines que met en jeu le blanc, à l’exclusion du noir et du jaune (excepté le Japonais). La possession des machines est l’instrument sûr par lequel les Européens ont asservi la population américaine, africaine et asiatique. Si les Incas avaient su forger des canons et des mousquets, ils n’auraient pas été anéantis par les Espagnols. C’est faute d’armes que les Indiens ont dû passer sous la domination anglo-saxonne. On emploie le terme d’expédition coloniale quand un de ces partis en présence est seul à posséder un armement mécanique valable. Lorsque les deux adversaires sont égaux sous ce rapport on dit qu’il y a guerre[1]. La guerre actuelle est dite « guerre d’organisation et de machines ».

3. Organisation et génie national des peuples. — Les Allemands depuis la guerre ont formulé la prétention, non pas à une simple supériorité dans l’organisation, mais à son monopole. Ils ne déclarent rien moins que ceci : « Le militarisme constitue l’une des expressions les plus puissantes de la forme organisatrice de l’Allemagne. Or l’Allemagne a atteint une étape de civilisation plus élevée que les autres peuples. La guerre un jour les fera participer sous la forme de cette organisation à une civilisation plus élevée. Parmi nos ennemis, les Russes, en somme, en sont encore à la période de la horde, alors que les Français et les Anglais ont atteint le degré de développement cultural que nous-mêmes avons quitté il y a plus de cinquante ans. Cette étape est celle de l’individualisme. Mais au-dessus de cette étape se trouve l’étape de l’organisation. Voilà où en est l’Allemagne d’aujourd’hui… Ce que veut l’Allemagne ? Eh bien ! l’Allemagne veut organiser l’Europe, car l’Europe jusqu’ici n’a pas été organisée[2]. »

Les autres peuples ont trouvé cette prétention outrecuidante, pour ne rien dire de son insolence à leur égard. L’organisation sociale est aussi vieille que le monde, puisqu’elle dut être mise en œuvre dès qu’il fallut agir en grand sur les hommes. Les Égyptiens, les Grecs

  1. M. Lanzel.
  2. Ostwald, déclaration au Dagen, de Stockholm. L’auteur a exposé, antérieurement à la guerre, ses idées sur la technique de l’organisation dans les publications d’une association dont il a été l’un des créateurs : « Die Brücke », Munich. Voir aussi les publications du« Monistenbund », dont il est le président.