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naturel et social. Pascal eut, au XVIIme siècle, la conception d’un progrès de l’humanité prise dans son ensemble, « considérée comme un même homme qui subsiste toujours et apprend continuellement ». Mais c’est surtout au XVIIIme et XIXme siècles que l’idée du progrès universel a fait du chemin. Condorcet trace le « Tableau des progrès de l’esprit humain » et le conçoit comme indéfini. Goethe compare l’humanité à un coursier qui suit une spirale s’élargissant continuellement. Price, Priestley, Kant, Lessing, Schiller, Fontenelle, Turgot, Fourier, Saint-Simon, Auguste, Comte sont les ardents propagateurs de l’idée de progrès. Kant et Laplace formulent leurs théories de la nébuleuse, théorie que Comte adopte, dont Herbert Spencer fait la base de son système évolutionniste. Dans les sciences naturelles Darwin et Lamarck montrent les transformations nécessaires des espèces vivantes ; la théorie des cataclysmes est remplacée par celle des actions continues ; la croyance à l’emboîtement des germes (Bonnet) fait place à la théorie de l’épigenèse ou du progrès embryonnaire par évolution continue de la cellule vivante ; des philosophes constatent un progrès naturel du langage, de la neutralité, des institutions sociales ; ils estiment que les lois générales du progrès peuvent recevoir une expression énergétique (Ostwald).

2. Mécanisme du progrès. — Les lois sociologiques se ramènent à trois : la répétition, l’opposition et l’adaptation des phénomènes sociaux[1]. L’instinct dirige sans changement l’activité des sociétés animales. L’homme a la supériorité de l’invention. L’invention modifie ses désirs, ses croyances, ses modes d’activité et de production ; l’imitation les perpétue et crée un nouvel état social. Quelle n’a été l’influence de la navette, de la boussole, de la poudre à canon, de l’imprimerie, de la vapeur, pour ne parler que des découvertes matérielles. Puis de nouvelles inventions s’opposent à celles qui ont été cristallisées par l’imitation, la tradition, l’habitude finissent par s’adapter à l’état social existant, et créent une civilisation différente de la précédente. C’est un devenir perpétuel ; mais ce devenir est une ascension. L’adaptation de l’individu à des rapports sociaux de plus en plus complexes, comme le développement d’institutions socialement utiles, a besoin du concours de l’esprit d’invention des individus et requiert l’adoption de leurs idées par la société. L’individu émet des idées originales, elles sont discutées, mais aussi imitées et sont ainsi l’objet d’une propagation de caractère réfléchi. C’est seulement après que la société a ainsi généralisé les idées individuelles, en les faisant unanimes, qu’elles se concrétisent en des institutions qui viennent s’ajouter à l’acquis social déjà existant. Tel le mécanisme du progrès. Tout dépend de

  1. Théorie développée par Gabriel Tarde. C’est, sous un autre aspect et avec d’autres mots, la trilogie de Hegel : thèse, antithèse, synthèse (Bourdereau).