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créature humaine. Cette notion est donc fondamentale dans l’organisation sociale[1]. Le bonheur est un état de bien-être joint à la satisfaction intérieure. Le bonheur n’est pas le plaisir, mais cette dernière notion est indispensable pour comprendre la première. Il y a plaisir toutes les fois que l’activité d’un être s’exerce dans le sens des voies de sa nature ; il y a douleur toutes les fois que cette activité est détournée de son but et empêchée par quelque obstacle du dehors ou du dedans. Il faut considérer la puissance de cette activité ; le plaisir provient de l’acte proportionné à cette puissance ; la douleur est le résultat d’une activité qui outrepasse sa puissance ou n’en atteint pas les limites (Aristote, Hamilton).

« La douleur remplit une fonction capitale dans notre vie. Elle est un avertissement et une sauvegarde au point de vue physique. Sous la forme du remords elle nous préserve de bien des fautes. Elle est une cause de progrès en stimulant tous nos efforts et en nous dressant contre le mal moral. Elle assure le caractère désintéressé de la vertu. Elle provoque la réflexion sur l’au-delà. » Le problème du bonheur a été agité par tous les philosophes ; il a sa place dans tous les systèmes de philosophie (Épicuriens, Stoïciens ; Platon, Aristote). Quelle place faut-il lui faire dans la vie sociale ? Pour les uns il ne provient pas du plaisir, mais il résulte de l’exercice même de la nature propre de l’homme, c’est-à-dire de l’exercice de la raison. Pour les autres le bonheur n’est que la somme des plaisirs sensibles, et il faut saisir au passage toutes les jouissances qui s’offrent. Pour les mystiques, le bonheur est fait du mépris du plaisir et de la réduction des besoins au minimum. La tradition épicurienne du bonheur a réapparu dans l’utilitarisme moderne. Bentham, Stuart Mill, Spencer ont fait un effort pour établir que le vrai bonheur de l’individu est identique au bonheur de l’humanité : pour Spencer notamment le bien est l’adaptation à l’évolution universelle. Kant subordonne strictement le principe du bonheur à celui de la moralité. Si le bonheur social est le but que doivent se proposer les politiques, comment admettre la prétention de faire le bonheur des populations malgré elles, comme par exemple par les annexions violentes ?

2. Notre époque a vu surgir un grand débat insoupçonné de l’antiquité sur l’essence du bonheur et sur les thèses opposées de l’optimisme et du pessimisme. Pour l’optimisme le monde est absolument bon, et l’univers le meilleur qu’il puisse être pour le moment (Leibnitz) ou, tout au moins, le bien y tient en définitive plus de place que le mal, et il est organisé de façon que le bonheur l’emporte sur la douleur (Fénelon).

  1. Jean Finot, La science du Bonheur. — Sébastien Faure, La douleur universelle. Voltaire, dans Candide, a raillé l’optimisme béat.