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d’inaccessibles régions, mais il est au jour le jour, à l’époque l’époque, l’ensemble coordonné de nos conceptions et de nos vouloirs les plus hauts. Dans le domaine sociologique, on lui a souvent donné le nom d’utopie, nom qui signifie : ce qui n’a été réalisé nulle part. Pour se défendre contre l’objection que le « Royaume » qu’ils proposaient n’était pas de ce monde, les réformateurs idéalistes ont fait valoir avec raison que l’univers n’était qu’une série d’utopies réalisées, que tout avait commencé par ne pas exister et qu’Adam n’était pas sorti du Paradis terrestre avec le cortège des institutions nécessaires à ses descendants. L’idéal dont toutes les sociétés et tous les groupes ont besoin est en réalité un programme d’action basé sur la croyance en l’excellence de certains objectifs supérieurs. « L’histoire nous enseigne que pour sortir de la Barbarie, après de foule être redevenu peuple, celui-ci doit avoir acquis un idéal. C’est le fruit de longs efforts, de luttes sans cesse répétées et d’innombrables recommencements. Peu importe la nature de cet idéal, que ce soit le culte de Rome, la puissance d’Athènes ou le triomphe d’Allah, il suffira pour doter tous les individus de la race en voie de formation d’une parfaite unité de sentiments et de pensées. C’est alors que peut naître une civilisation nouvelle, avec ses institutions, ses croyances et ses arts. Entraînée par son rêve, la race acquerra successivement tout ce qui donne l’éclat, la force et la grandeur. Elle sera foule encore sans doute à certaines heures, mais derrière les caractères mobiles et changeants des foules se trouvera ce substratum solide : l’âme de la race, qui délimite étroitement les oscillations d’un peuple et règle le hasard[1] ».

Si les peuples, pour être grands, ont un idéal national, un plan de vie collective, un système, l’humanité aussi doit avoir son idéal et son plan basé sur les nécessités générales du monde civilisé. Le programme proposé à l’action commune de toutes les nations doit être assez grand, assez beau, assez séduisant pour promouvoir les volontés, condenser mieux les aspirations des masses et produire parmi elles un sentiment profond, à moins que cet idéal même ne surgisse de ce sentiment.

235. Les objectifs de l’action sociale.


Vers quoi tend toute l’activité des hommes et des sociétés ? Y a-t-il possibilité d’obtenir satisfaction aux désirs ? Y a-t-il autre chose que répétition des mêmes actes et l’amélioration, le mieux sont-ils possibles ? Ce sont les problèmes du bonheur, du progrès et de la civilisation. Tous trois dépendent intimement l’un de l’autre et ils sont en jeu dans l’idéologie de la guerre actuelle.

235.1. LE BONHEUR. — 1. Le bonheur est ce à quoi tend toute

  1. Le Bon, Psychologie des foules, p. 178.