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contre la nature d’un être de vouloir ce qui serait contraire à sa fin, donc à son utilité, à son bien propre. Mais sa fin, son bonheur, son intérêt donc, peuvent être compris de bien des manières différentes. Si des écoles philosophiques ont vu le bien dans le plaisir (Épicure) d’autres l’ont vu dans l’intérêt bien entendu (Hume, Bentham, Stuart Mill[1]).

Il faut bien se représenter le jeu des intérêts. Quand l’intérêt général seul est en lutte avec des intérêts particuliers fortement concentrés, il est difficile qu’il triomphe ; il ne représente en effet, précisément parce qu’il est l’intérêt général, qu’un bénéfice peu considérable et peu apparent, dans un cas isolé, pour chaque citoyen ; les intérêts particuliers représentent au contraire, pour chaque membre du groupe intéressé, un bénéfice très net, bien sensible, quelquefois énorme. Mais il arrive que l’intérêt général se trouve d’accord avec certains groupes d’intérêts particuliers et alors il est défendu avec vigueur. Tout le monde avait intérêt à la paix organisée, mais bien peu de gens savaient faire à cet intérêt général les sacrifices nécessaires pour lutter contre les intérêts particuliers qui voulaient la guerre. La crise actuelle a amorti bien des intérêts particuliers, hier encore tout-puissants.

La poursuite de l’intérêt général prend la forme tantôt d’un culte désintéressé du bonheur général, tantôt celle d’une science spéculative et appliquée de cet intérêt. La connaissance des besoins et des intérêts des peuples est à la base de toute politique rationnelle. La politique internationale ne peut même prendre ce nom qu’à la condition d’être basée sur une claire notion de tous les intérêts nationaux en présence.

3. À l’intérêt s’oppose l’idéal. Toute société pour grandir et se développer doit avoir un idéal. Celui-ci est le perfectionnement suprême ou typique qui n’existe que dans l’imagination.  L’idéal n’est pas l’image de la réalité, ni la fantaisie d’une imagination qui crée des chimères. L’idéal n’est pas d’avantage l’idée. Celle-ci est abstraite et générale, tandis que l’idéal a quelque chose de concret, de sensible, d’individuel. On se le représente avec une forme plus ou moins déterminée, car ou le conçoit comme pouvant être de plus en plus réalisé, bien qu’il ne le soit jamais, et qu’il s’élève à mesure que la réalité se rapproche de lui. Pour Platon, l’idéal a une réalité même, puisque nos sens ne perçoivent que les ombres des choses. Il est l’idée du Beau ou du Bien ou du Vrai, qui, résidant dans l’esprit de l’homme, lui permet d’apprécier par comparaison toutes les beautés de l’art et de la nature, tous les actes de la volonté, toutes les affirmations de l’intelligence. Pour nous l’idéal est le produit prototype qui se dégage de nos expériences réfléchies dans la direction du mieux. L’idéal n’habite pas

  1. F. Le Dantec, L’Égoïsme.