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entier des mêmes questions, agitées par les mêmes arguments et les mêmes idées. Que l’on se rappelle les grandes causes qui hier soulevaient partout les esprits, par exemple l’affaire Dreyfus, qui n’a laissé d’indifférent en aucun pays, et en ce moment l’opinion sur les responsabilités de la guerre. C’est avec raison que F. Buisson a pu dire : « Nous affirmons qu’il existe une conscience du genre humain. » Avant la guerre l’opinion publique cosmopolite gouvernait le monde. Si la guerre est survenue il faut l’attribuer en partie à ce que cette opinion était imparfaitement coordonnée.

L’opinion populaire se crée lentement et prépare les volontés inconscientes qui précèdent le plus souvent les volontés conscientes des gouvernants. Faire nôtre un sentiment, puis le propager de façon à le rendre collectif est un des fondements essentiels de la politique. Aujourd’hui les gouvernants disposent à cet effet du concours prolongé de la presse, des sociétés patriotiques, des journaux, des livres, des universités. Des études intéressantes ont mis en lumière les grands facteurs de la persuasion, et le mécanisme par lequel se forment les courants d’opinion qui, à un moment donné, entraînent tout un peuple. On a essayé de formuler des lois de ces phénomènes. (G. Le Bon, Les opinions et les croyances.) Dans son Histoire des des sciences et des savants, de Candolle emploie une intéressante méthode pour se rendre compte de l’opinion d’un pays. « Rien n’est plus curieux, dit-il, que la manière dont se crée l’opinion. On dirait d’abord une chose vague, insaisissable quant à l’origine, mais en regardant de plus près on en découvre les principes moteurs. Il y a des intérêts et aussi des goûts, quelquefois contraires aux intérêts. L’union des tendances secrètes ou avouées forme des courants d’opinion qui luttent avec les grands courants déterminés par les intérêts. Le nombre et la passion des personnes de l’un et de l’autre sexe qui créent ces divers courants, déterminent aussi leur force relative es par conséquent l’opinion dominante ». On peut distinguer six tendances qui dirigent les individus d’une façon plus ou moins exclusive : a) Recherche habituelle et prononcée des biens matériels pour le plaisir d’acquérir et de posséder. b) Recherche de ce qui plaît, c’est-à-dire disposition à ne rien faire, ou à dépenser pour son agrément des valeurs de toute espèce au lieu d’en créer. c) Recherche d’influence ou d’action politique. d) Préoccupation d’idées religieuses. e) Recherche de la vérité en elle-même, ce qui est le principe et le but de toutes les sciences morales, politiques, mathématiques ou naturelles. f) Recherche du beau en lui-même, ce qui est l’essence des arts et de la littérature. — Les individus très passionnés n’obéissent guère qu’à une seule de ces tendances, mais en général chacun d’eux obéit à deux ou trois d’entre elles. C’est pour cela qu’on aime si fort la propagande. Elle attire et unit les tendances de second ou troisième ordre de beaucoup d’individus, de façon à accroître la force du courant