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représentation objective et exacte. À côté d’elle, ou mieux, comme partie d’elle-même, il faut une place pour ce que nous appellerons l’idéologie. On peut la définir la connaissance des états d’esprits collectifs et de la mentalité des peuples ; l’ensemble des idées que les hommes se font des choses, abstraction faite de l’identité entre ces représentations mentales et la réalité. Le fondement objectif de nos idées, la conformité entre elles et leur objet pour constituer la vérité est un des problèmes fondamentaux de la Psychologie et de la Logique (Critériologie). Celles-ci nous apprennent de combien d’erreurs sont entachées nos conceptions ; même parmi leurs théories il en est qui concluent à l’impossibilité pour l’homme d’atteindre la vérité absolue.

3. À l’idéologie, comprise comme nous venons de la définir, se rattache la Psychologie comparée des peuples ou étude de leurs caractéristiques mentales[1]. La mentalité d’un peuple est sa manière générale de penser, l’ensemble des idées qu’il s’est formées ou qu’il a reçues toutes faites. Ces idées distinguent son action. Celles qui sont relatives à la société, aux relations des hommes entre eux, à leur activité, à l’État, aux relations des États entre eux, sont d’une importance capitale en politique, surtout en politique internationale. Il en est ainsi surtout quand elles se coordonnent en système mental et moral, formulé en doctrine par les théoriciens qui ont ou synthétisé des idées éparses dans leur peuple, ou donné la forme d’idées raisonnées aux sentiments de leur peuple, à leur état de conscience et de volonté[2]. La mentalité des peuples ne s’exprime pas seulement de manière différente sur les questions particulières ; elle a aussi des tendances générales, elle forme des systèmes généraux auxquels elle se rattache de préférence. L’exemple du peuple suisse est typique. Il a une unité nationale fortement, marquée comme État, mais il est composé de trois populations, de trois langues différentes. « La Suisse romande, dit Adolphe Keller, pense absolument. Elle se raccroche à la conception d’une morale sans fondement matériel, d’un droit national ou international intangible, d’une politique sans liaison avec les éléments. La Suisse allemande en revanche, et dans une certaine mesure, pense historiquement, c’est-à-dire relativement. Elle est plus près de la réalité que les Welsches. »

Les peuples s’ignorent les uns les autres. Pour chaque peuple, la psychologie du voisin est un mystère. Dans ces conditions, le malentendu est permanent.

4. « La destinée nationale, dit de son côté M. Coubertin, est faite d’éléments contradictoires qui agissent et réagissent les uns sur les autres. Ceux-là connaissent vraiment leur temps qui savent discerner

  1. Ribot, Psychologie comparée des Français.
  2. C’est le cas par exemple de l’Allemagne. Voir au n° 292.3 sa conception de l’État.