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d’hier, comme ils peuvent diviser les amis d’aujourd’hui, tout en attribuant aux peuples mêmes les haines dont elles se jouent ![1]

234.5. LES IDÉES : IDÉOLOGIE, OPINION, MENTALITÉ NATIONALE. — 1. Les idées sont les représentations des choses dans l’esprit ; ce sont les notions que l’esprit reçoit ou qu’il se forme de quelque chose. Dans le domaine sociologique, les idées régnantes ont une importance capitale. Ce sont elles qui manifestent ou déterminent l’activité des hommes. C’est à l’intermédiaire de l’idée que doivent se faire et se font les actes sociaux. Les notions théoriques sont d’abord jetées dans la circulation ; comme idées-forces elles déterminent ensuite le déclanchement moral, puis physique.

2. Lorsqu’une idée s’empare d’une nation, l’agite et la passionne, il est rare qu’elle soit uUniformément comprise. Elle se modifie, se nuance, s’altère au gré des préjugés, des intérêts et des instincts du moment. Il faut donc distinguer avec soin les relations mutuelles qui existent réellement entre individus appartenant à un même groupe, et la signification de ces relations telles qu’elles se réfléchissent dans les esprits individuels, c’est-à-dire la réalité objective et l’idée plus ou moins déformée que les hommes s’en forment. La science sociologique s’efforce de connaître les réalités sociales et de s’en faire une

  1. « Le grand crime de l’Allemagne, c’est d’avoir réveillé, secoué, talonné, fouaillé pour qu’elle reparte au galop, la Haine… Nous avons fait un tel effort pour l’endormir enfin au cœur des hommes, nous tous, écrivains, poètes, orateurs, philanthropes, pacifistes, ennemis du sang, de la colère et des vieux antagonismes de races ! Nous avions multiplié nos pages fraternelles, nos discours apaisants, nos arguments irrésistibles à la raison et plus encore au sentiment, nos chansons et nos pièces, nos poèmes et nos œuvres. Les plus grands génies du siècle, les Lamartine, les Hugo, les Michelet avaient joint leurs cris de pitié à nos indignations. Chiffres en mains, l’horreur aux yeux, l’âme vibrante de cette impérieuse bonté qui malgré tout et comme l’affirma magistralement Rosny perdure au cerveau des fils de la Terre, non seulement nous avions dénoncé la folie criminelle des hégémonies brutales et des conquêtes sanglantes, mais encore ramené dans les esprits la plus grande douceur que trouvent en l’Évangile ceux qui savent le lire, la fraternité sainte qui devrait être si naturelle à ce grouillement d’atomes que nous sommes, accrochés au flanc de la Planète, qui les emporte en sa formidable aventure, et qui aurait un tel emploi meilleur de la brève existence à tâcher de vivre en harmonie sous la grande menace de l’Inconnu. Et voilà tout cela gâché, toute cette besogne anéantie, à recommencer, parce qu’une nation se refuse à cette tendance qui partout grandissait de solutionner à l’amiable d’inévitables conflits d’intérêts, parce qu’une nation veut à toute force dominer, conquérir, oppresser, parce que persiste en elle L’âme dure et mystique du moyen âge qui n’adopta du moderne que les progrès en l’art de tuer (M. C. Poinsot). » — « La haine réciproque entre différents peuples qui composent l’Humanité n’est pas une chose naturelle ; pas plus que ne le serait une haine entre les différentes familles d’un même peuple. C’est l’existence des peuples opprimés et des peuples oppresseurs qui cause la haine ; c’eût l’égoïsme aveugle, fier et calomnieux des uns, la réaction naturelle des autres. Il est facile de faire fraterniser des hommes libres et égaux de droit, mais cela n’est pas faisable quand il s’agit d’hommes dont les uns se considèrent comme les maîtres des autres (Zamenhoff). »